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Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 34.djvu/208

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Mrs Yeobright frappe un second coup ; Clym dort toujours et la jeune femme est au fond du jardin avec Wildeve. La pauvre mère ne doute point, elle ne peut pas douter que son fils ne refuse de la recevoir et ne lui tienne sa porte close. Elle repart donc épuisée, sans repos après sa longue marche, la tête brûlée de soleil-et surtout le cœur brisé. Elle va mourir sur la bruyère, mourir de sa fatigue et plus encore de sa douleur, mourir sans être détrompée, loin de l’enfant toujours tendre qui se disait chaque jour : « Ah ! si mère pouvait venir ! si elle savait comme je l’attends et quelle fête serait pour moi sa venue ! » Un second désastre suivra celui-ci. Lorsque Clym connaît la vérité, il ne peut plus vivre avec sa femme. Les deux époux se séparent. Puis un jour vient où la douleur de Clym, moins enfiévrée, moins furieuse, accueille l’idée de réparer quelque peu les ruines effondrées autour d’elle, de relever quelques pierres du passé pour abriter les jours douloureux que la destinée lui dispense et sur lesquels la vie se reprend à exercer sa force réparatrice. Il écrit à sa femme : un hasard encore fait qu’Eustacia ne reçoit pas cette lettre !

Et trop souvent il en est ainsi ; il y a trop d’arrangement des circonstances, et toujours en vue de faire tourner tout au pire, de frapper sans trêve, d’abattre, d’anéantir les victimes de la fatalité… Sur la même pente, le drame glisse au mélodrame. Certes, celui-ci est de qualité supérieure ; on y retrouve, ou l’on y devine, la main d’un maître. Il n’en garde pas moins son défaut, qui est de forcer l’émotion, de viser à l’effet, de nous émouvoir en faisant violence à notre faculté de sentir. La mort des enfans de Jude, Bathsheba ouvrant le cercueil de Fanny, Eustacia et Wildeve noyés dans le torrent, toutes ces scènes sont impressionnantes, il est vrai ; mais elles sont théâtrales, il y éclate un goût excessif de l’effet, de l’apparat et du décor. Lorsque Angel Clare, le soir de son mariage, apprend la « faute » de Tess, elle devient pour lui une autre femme : celle qu’il a aimée et épousée n’est plus. Il sort et laisse Tess seule dans la chambre. Trois jours passent ainsi. Angel prend le parti de s’en aller au loin et la dernière nuit descend sur sa misère. L’idée de la séparation, l’idée que Tess est pour lui comme si elle n’était plus, qu’elle est morte et que c’en est fait de son amour, va prendre corps sous nos yeux dans une scène de somnambulisme. Angel emporte sa femme à travers la nuit, jusqu’à l’église en ruines de la vieille