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arrive. Elle publiera en partant un ouvrage que je regarde comme bien supérieur à ce qu’elle a écrit, un ouvrage[1]dans lequel il est facile de voir combien le malheur ajoute au talent. C’est une langue nouvelle, quand on la compare à la langue que l’on parle actuellement. C’est un rayon d’un soleil pur qui se fait jour à travers d’épais nuages. Les persécutions qu’elle a essuyées ont beaucoup retardé le travail dont je m’occupe. J’aurais besoin pour le finir de quelques mois d’une solitude absolue, mais je ne sais quand je pourrai me les accorder. Il y a si longtemps que je les désire que je ne vois aucune raison pour que je les obtienne jamais. Je les espérais pour cet été, si notre amie avait réussi, et que j’eusse pu la laisser pendant quelque tems agréablement entourée, mais nous sommes aujourd’hui bien loin de là.

J’ai pris bien de la part à tout ce que vous avez souffert[2]et j’ai sûrement bien partagé tous vos sentimens et toutes vos pensées. Chacun vogue comme il peut sur cette eau bourbeuse et agitée qu’on appelle la vie ; mais il y a des esprits qui correspondent toujours entre eux et qui ne cessent jamais de s’entendre. Notre amie me dit que vous avez retrouvé votre frère, et que vos inquiétudes à cet égard sont diminuées. C’est toujours beaucoup. Quand on ne peut plus s’intéresser aux choses générales, il faut au moins être épargné dans ses affections individuelles.

Simonde a enfin paru[3]. Je n’ai pas encore lu son ouvrage entier. J’en ai vu des morceaux qui annoncent une grande fierté dame et de nobles sentimens. Il y a moins d’esprit que dans Rulhières[4] ; mais j’en aime pourtant mieux la forme et la direction. Rulhières me semble avoir pris l’histoire en commérage et cherché à amuser par des anecdotes et à briller par des portraits. Je suis tellement las des auteurs à intentions comme presque tous ceux du XVIIIe siècle que j’aimerais, je crois, mieux un sot qui n’aurait aucun but dans ce qu’il raconterait qu’un

  1. Corinne.
  2. Anselme de Barante, officier de dragons, avait disparu après la bataille d’Eylau ; son frère le retrouva, quelques semaines plus tard, dans les environs de Thorn, blessé de deux coups de sabre et de sept coups de lance.
  3. Les deux premiers volumes de l’Histoire des républiques italiennes au moyen âge, par J. C.-L. Simonde de Sismondi ; les quatorze autres parurent de 1808 à 1818.
  4. Histoire de l’anarchie de Pologne et du démembrement de cette République, par C.-L. Rulhières, suivie des anecdotes sur la Révolution de Russie en 1762, par le même auteur. Cet ouvrage posthume était publié par M. Daunou qui le faisait précéder d’une notice, sur Claude Carloman de Rulhières.