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LA LITTÉRATURE POPULAIRE DE L’EXTRÊME NORD.

compliquée. En somme moins d’équité, plus de tolérance, moins de justesse et plus de hauteur de vues, un esprit moins frondeur, mais plus tranquillement hardi dans la destruction ou la négation.

À travers ces sentimens, qui sont ceux de l’âme slave en général, et qui n’impliquent pas de croyance à telle ou telle religion, persiste presque toujours, dans les traditions populaires de Russie, même dans leurs mythes les plus païens, une sorte de reflet venu de Byzance, un souci indélébile du cadre chrétien. Ce qui souvent, lorsqu’il s’agit de textes d’origine orientale, les de nature étrangement. Et il faut entendre ici le christianisme non pas sous sa forme idéaliste et rêveuse, mais sous sa forme dogmatique et rituelle, ce qui est d’ailleurs le caractère du christianisme d’Orient. Ah ! certes, ce ne sont pas les popes russes qui auraient inventé le catholicisme sans dogme, entrevu par Chateaubriand. Dans l’ordre des croyances religieuses, le filioque, dont bien peu de croyans français comprendraient toute l’importance, a suffi pour créer pendant des siècles, et suffit encore pour maintenir une muraille de Chine entre l’Empire russe et le monde latin. De même, dans le domaine de la légende, lorsque l’idée chrétienne s’associe, chez les Slaves, aux vieux mythes païens, elle le fait en gardant sa forme la plus doctrinaire et la plus inflexible.

Tout cela est, en somme, assez peu favorable à la naïveté ou à la sincérité des légendes, ainsi qu’à leur prestige.

En outre, l’esprit imprécis, mais pourtant utilitaire et subjectif, des Slaves, s’accommode mal du contact de la Nature et de son amour désintéressé. Du reste, la monotonie et le manque de pittoresque de la majeure partie des pays qu’habite la race slave ne sont pas faits pour lui inspirer le culte des manifestations, grandes ou petites, des phénomènes naturels extérieurs à l’homme. Les gens de cette race en méconnaissent volontiers le charme et ne se plaisent pas à leur contemplation, ce qui peut s’expliquer dans des contrées ternes, banales et monotones, exploitées à outrance par des paysans sceptiques et cupides, profanées par une industrie sans scrupules, et dont les campagnes ou même les forêts sont dépourvues de tout mystère, sinon de toute poésie.

Cependant, pour être exact, il faut dire que tout ceci ne s’applique qu’à la Russie classique, c’est-à-dire à la partie de l’Empire russe dont la vie et les idées s’échangent, depuis deux