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Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 34.djvu/401

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budget, beaucoup ne sont pas des mains de bureaucrates ni d’« intellectuels : » ce sont des douaniers, facteurs, cantonniers, geôliers, ouvriers de manufactures et d’arsenaux, ressortissant aux divers départemens ministériels. Mais, si l’Etat est le plus grand collateur de ces bénéfices laïques, il n’est pas le seul grand distributeur de fonctions.

A elles six, nos compagnies de chemins de fer privées ont à leur solde 300 000 employés. Nombre de puissans établissemens de banque, de commerce ou d’industrie, entretiennent un personnel de deux, trois ou quatre mille scribes, commis, comptables et agens de toute sorte ; et une infinité de moindres patrons rétribuent, qui vingt ou trente, qui trois ou quatre subordonnés. Il existe une concurrence naturelle entre tous ces libres « offreurs » de places ; il en existe une entre les fonctions privées et les fonctions officielles. A chacune des unes et des autres l’opinion assigne une valeur, comme elle en assigne une au travail du moissonneur, du maçon ou de la « bonne à tout faire ; » comme elle en assigne une à la marchandise la plus simple, au kilo de blé, de viande ou de poisson.

On ne saurait trop insister sur ce phénomène d’indépendance absolue des prix, du prix des services comme du prix des objets matériels et du prix même des services qui, par nature, sembleraient échapper à la loi économique et soumis au pur arbitraire. On n’y saurait trop insister parce que c’est une vérité ignorée ou méconnue. L’histoire des chiffres nous la révèle ; elle nous permet d’affirmer que le prix des choses demeurerait libre, même dans un état tyrannique ; que jamais il ne se laisse asservir.

Or certaines théories politiques, certains idéal s de gouvernement, rêvés un peu partout en Europe, par de nobles âmes, soucieuses du bien-être populaire, reposent uniquement sur l’opinion que le pouvoir exécutif et législatif pourrait, en s’y prenant bien, dominer, maîtriser les prix. L’étude du passé montre le néant de ces espérances. Elle prouve que le taux du salaire par exemple n’est réglé, ni par l’ouvrier, ni par le patron, qu’il ne le serait pas même par l’union des ouvriers et des patrons, coalisés ensemble en un syndicat gigantesque de producteurs, ni d’ailleurs par l’association des consommateurs. Mais le salaire est la résultante de toutes ces prétentions hostiles, toujours en lutte et toujours contraintes à s’accorder.

Dans la fixation conventionnelle des appointemens ou des