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Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 34.djvu/471

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qu’il a eu l’occasion de connaître, pendant ce séjour de plus d’un an dans les Pyrénées : l’évêque de Tarbes, un certain comte de V…, le prince et la princesse de Rohan. Ces derniers, le sachant très riche, lui auraient volontiers donné pour femme une de leurs filles ; mais la mère de Whaley s’est opposée au mariage, en raison de la différence des religions : car j’oubliais de dire que Whaley était protestant, d’une famille anglaise introduite en Irlande par Cromwell, et que son père s’était même acquis le surnom significatif de « brûleur de chapelles. » De telle manière que le jeune homme, se voyant condamné au célibat, s’est empressé de séduire une jeune fille noble, cousine du comte de V… ; et cette nouvelle intrigue a eu pour effet de le contraindre à quitter brusquement ses quatre maisons pyrénéennes. Dénoncé aux parens de la jeune fille par un abbé, qu’il avait pris pour professeur de français, il a publiquement fouetté ledit abbé, à Auch, sur le Cours, ce qui lui a valu d’être mis en prison. Heureusement sa victime s’est trouvée n’être qu’un faux abbé ; et Whaley, après quelques semaines d’emprisonnement, a pu se retirer à Marseille, puis à Lyon, où d’aimables jeunes femmes et des gentilshommes des plus « distingués » lui ont gagné, après boire, des sommes incroyables. Le fait est que sa merveilleuse facilité à perdre de l’argent lui avait procuré, dès lors, une renommée européenne : car il nous apprend que deux nobles étrangers sont venus tout exprès de Spa jusqu’à Lyon, pour lui proposer une partie de cartes. A Paris, ensuite, il a rencontré une charmante jeune femme, dont le mari avait un emploi à la cour : et celle-là, après huit jours de rendez-vous mystérieux, lui a encore soutiré 500 livres sterling. Mais comment analyser un récit dont tout l’attrait est dans la finesse pittoresque des nuances, dans la piquante justesse des traits de caractère, et dans un entremêlement continuel, aux anecdotes galantes, de réflexions « sociologiques » sur les mœurs parisiennes et provinciales des dernières années de l’Ancien Régime ?


Tout autre est le ton du dernier chapitre, où Whaley raconte les séjours qu’il a faits à Paris après son retour de Jérusalem, entre 1791 et 1793. L’Irlandais continue bien à commettre, et à nous avouer, toute sorte d’extravagances plus ou moins malpropres ; mais il nous en parle, à présent, avec la gravité d’un homme qui, ayant été jusque-là toujours trompé et volé, estime avoir acquis, contre le monde, un droit de représailles. Aussi bien a-t-il, désormais, des devoirs nouveaux. Il ne s’est pas encore marié, en vérité : mais il vit maritalement avec une jeune femme « d’un goût exquis et pleine de sensibilité, »