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nos recettes. Ils savaient fort bien que l’équilibre de nos budgets était un trompe-l’œil et qu’il faudrait un jour ou l’autre, et un jour prochain, tenir un plus grand compte des réalités. Mais, lorsqu’ils le disaient, des contestations officielles s’élevaient aussitôt ; on les accusait de noircir le tableau ; on les taxait de malveillance systématique et de dénigrement. Continuera-t-on à leur adresser les mêmes reproches, aujourd’hui que M. le ministre des Finances confirme tout ce qu’ils ont dit ? Il faut bien s’y attendre, puisque M. le ministre des Finances est l’objet d’accusations du même genre et non moins passionnées. Il a commis, lui aussi, le crime de troubler le pays dans sa quiétude, et c’est ce que ne lui pardonnent pas ceux qui s’appliquaient à l’y maintenir. C’est pourtant ce dont il faut le louer, car sa quiétude était trompeuse, et tôt ou tard le pays devait en être réveillé en sursaut. Plus on aurait tardé, plus la secousse aurait été brutale, et si celle que M. Poincaré nous a donnée l’a déjà été quelque peu, celle que nous aurions reçue bientôt des événemens, en dépit de tous les procédés anesthésiques, l’aurait été encore davantage. Il n’était, que temps d’aviser. L’émotion a été vive lorsqu’on a connu le projet de budget de M. le ministre des Finances ; elle dure encore, elle durera longtemps, car nous ne sommes pas au bout de nos surprises. Nous parlons du bon public qui, vivant et dormant sur la foi des assurances gouvernementales, ne se doutait de rien et n’était pas éloigné de voir des ennemis de la République dans ceux qui l’avertissaient. On a qualifié nos derniers budgets de budgets d’attente : nous voudrions bien savoir ce qu’on attendait. Le budget de M. Poincaré est un premier budget d’avertissement. L’avertissement est rude, soit : il n’en est que plus salutaire.

Nous négligerons autant que possible les détails techniques, laissant à plus compétent que nous le soin de les relever dans une des prochaines livraisons de la Revue. Un chiffre, dans le budget de 1907, a frappé l’opinion : c’est celui de 4 milliards présenté comme le total de nos dépenses. Tout le monde s’est rappelé alors le fameux mot de M. Thiers quelque temps après la révolution de 1830, au moment où notre budget dépassait pour la première fois un milliard : « Saluez ce milliard, car vous ne le reverrez plus ! » On ne l’a plus revu en effet ; le budget n’a jamais connu un reflux qui l’ait ramené en deçà, et quelque soixante-dix ans plus tard le voilà sur le point de doubler l’effrayant promontoire du quatrième milliard. Mais ce chiffre est-il bien exact ? L’avons-nous dépassé sans retour ? Ne le reverrons-nous plus, et, laissant le quatrième milliard derrière nous,