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Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 34.djvu/540

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lesté, bonne, charitable, moins dévote que je ne m’y attendais, repoussant la coquetterie avec regret, ou s’y livrant avec scrupule, et n’ayant ni le calme de ses vertus, ni le plaisir de ses fautes.

On me presse pour le dîner qui doit précéder le départ de votre famille. Celle séparation m’afflige pour Mme de S..., à qui elle en annonce tant d’autres bien douloureuses. Adieu, cher Prosper. Croyez que je vous suis tendrement dévoué et pour la vie.

XXI


Paris, ce 8 août 1810.

J’ai reçu ici, mon cher Prosper, votre lettre du 12 juillet, qui m’a été renvoyée de Chaumont. Je vous aurais répondu plus tôt, si je n’avais eu, à mon retour, de petits arrangemens d’affaires à terminer. Je vois avec peine, mais sans surprise, le découragement que respire votre lettre. Tout en m’en affligeant je serais fort embarrassé de vous faire aucune objection contre ce que j’éprouve au moins autant que vous. Je travaille à mes articles[1] dont je n’ai fait encore que douze : et je ne veux m’arrêter que quand j’en aurai fait de trente à quarante. Alors j’aurai assez d’avance pour pouvoir me livrer pendant quelque tems à mon Polythéisme, que j’ai bien perdu de vue.

Je suis arrivé ici au milieu de l’explosion qu’a produite le rapport du jury sur les prix décennaux. C’est merveille que de voir tous ces gens, morts d’ailleurs depuis longtems, et ressuscites en amour-propre. La vanité a rouvert les tombeaux, et a dit aux paralytiques : Lève-toi et crie. Juges, académiciens, auteurs, amis, public, tout est aussi petit et misérable. Ce sont des lamentations les uns sur l’injustice, les autres sur ce qu’on ne respecte pas, disent-ils, le corps où s’était réfugiée la dernière considération personnelle qui existât en France. Ma foi, s’il n’y en avait que là, autant vaut qu’il n’y en ait point. Quand la maison est en cendres, pourquoi cette économie de bouts de chandelles ? Au milieu de toute cette agitation, on s’aperçoit qu’il n’y a rien de réel au fond des âmes. Les juges ne croient pas aux titres qu’ils prétendent avoir au respect ; les auteurs qui réclament, ne croient pas trop non plus au mérite qu’ils s’attribuent. C’est

  1. M. Benjamin Constant collaborait, ainsi que M. de Barante, à la Biographie Universelle éditée par Michaud frères.