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Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 34.djvu/545

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resterai plus aussi longtemps sans vous répondre. Je voudrais bien que nous nous vissions. Mais je ne serai pas, je crois, à Paris cet hiver. Adieu encore, je vous aime et vous embrasse.


XXllI


Paris, le 3 décembre 1810.

Je ne sais, cher Prosper, quelle impression monsieur votre père et vous aurez reçue de son déplacement si subit et si peu attendu[1], mais j’ai besoin de vous exprimer l’intérêt que je prends à cette nouvelle. Cet intérêt sera partagé par tout Genève. Il s’y joint en moi l’amitié que je vous ai vouée, et mon souvenir de la bienveillance que monsieur votre père m’avait toujours témoignée. Je le regrette aussi pour notre amie, envers laquelle il s’était montré, dans toutes les circonstances, et nommément dans les dernières, si noble et si bon. M. de Montlosier m’assure qu’il doit venir incessamment à Paris, ce qui m’empêche de lui écrire. Mais je vous prie d’être mon interprète à cet égard et de lui porter l’expression du tendre et respectueux attachement que je lui ai voué. Si je suis encore ici à son passage, j’espère le voir et lui en réitérer moi-même les assurances.

Je vous ai écrit deux fois depuis le 25 septembre, date de ma première lettre. Je ne sais à quelle cause attribuer votre long silence. Vous ne m’aviez pas accoutumé à cette rigueur et je m’en plains d’autant plus amèrement.

J’ai reçu, non sans peine, la seconde édition de votre livre.

  1. Le préfet du Léman avait reçu l’ordre de faire poser les scellés sur tous les papiers qui se trouveraient à Coppet, mais il s’était contenté d’une déclaration écrite de Mme de Staël, par laquelle elle s’engageait à ne faire imprimer ni publier, dans aucun pays du Continent, le livre De l’Allemagne. Ce dernier ménagement pour Mme de Staël entraîna tout de suite la révocation de M. de Barante, déjà suspect de par ses relations avec Coppet. Puis, d’autres griefs encore existaient contre lui : « MM. de Bassano et de Montalivet, écrit Prosper de Barante dans ses Souvenirs, me mirent au courant de ces griefs. L’administration de mon père était irréprochable, mais sans influence sur les Genevois ; ils ne devenaient pas Français, Genève restait un canton suisse et conservait les mêmes opinions, la même indépendance d’esprit et de conversation ; les exilés y recevaient un accueil sympathique : L’Empereur s’était, du reste, déjà plaint à mon père d’avoir laissé subsister un article du traité par lequel la République de Genève, en consentant à sa réunion avec la République Française, réservait à la municipalité de cette ville l’instruction publique, les institutions religieuses et de charité. Il lui avait répondu qu’il se croyait obligé de respecter les termes d’un traité consenti par le gouvernement français, et que, de plus, l’abolition de cette clause serait un surcroit de dépense. »