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Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 34.djvu/550

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pour être ruiné et perdu, et pourtant, comme il y a dans ce sacrifice quelque chose qui répond à notre nature, il y a deux ou trois momens où le spectateur est ému, malgré la monotonie, le ridicule et le pathos du style. Mais je jouissais doublement de la pièce (quand je dis jouir, ce n’est peut-être pas le mot propre) en comparant ces commissions militaires couleur de rose, et ce régiment arcadien à d’autres choses qui ne leur ressemblent guère. Je n’ai pas pu dire cette fois : C’est tout comme chez nous.

Je m’aperçois que je vous ai écrit deux énormes pages sur cette comédie, et je m’en repens, mais il est trop tard pour recommencer.

Je compte être à Göttingue dans huit ou dix jours. Je m’y plongerai dans un océan de livres et de travail. Je compte mettre des volumes entre la société allemande de Cassel qui doit être ennuyeuse et la société française de Westphalie qui est pis qu’ennuyeuse, et moi qui ne veux être ni des conquérans ni des conquis. J’ai éprouvé par quelques jours de travail en courant la poste qu’il m’était facile de reprendre à mon ouvrage, au bout de deux heures d’application. Les idées m’en sont si familières qu’elles se saisissent de moi et m’entourent, dès que je ne me laisse pas aller aux distractions ultérieures. Je compte donc employer mon temps de mon mieux, et ne rien souffrir qui m’agite ou me dérange. Ma position est très bonne pour cela. J’ignore tout à fait quand je repartirai. S’il y a sûreté et repos à Göttingue, j’y reste jusqu’à ce que mon ouvrage soit fini, et il en sera bien plus tôt achevé. Je crois que votre mariage changera aussi non seulement vos projets, mais votre situation, et je ne compte plus guère sur notre séjour à Napoléon que je regrette. Cependant il est possible que Göttingue ait des inconvéniens dont je ne puis juger. Alors j’en repars. Je ne sais ce que fera notre amie. Son esprit est indécis, et les obstacles extérieurs transformeront, je crois, cette indécision en immobilité pour quelque temps. C’est peut-être le mieux. Qui peut prévoir dans la vie les suites d’un seul mouvement ? J’ai été fort triste pour elle de l’aventure de Wilhelm[1] dont je ne sais pas les détails et à laquelle je ne conçois rien. Ses lettres pourtant ne sont pas fort

  1. Mme de Staël, à son retour d’Aix-les-Bains, apprit à Genève, par le préfet Capelle, que la frontière française lui était interdite et que Guillaume Schlegel devait quitter non-seulement Genève mais aussi Coppet situé sur le territoire suisse.