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j’avais su où adresser à Juliette l’expression de la part que je prends à ce qui lui arrive, je l’aurais fait. Mais je ne sais pas du tout où elle est, ni comment lui faire parvenir une lettre. Si vous le savez, et que vous lui en écriviez, parlez-lui de moi.

Adieu, cher Prosper. Je donnerais bien des choses pour causer avec vous, ne fût-ce que sur la comète qui devient chaque jour plus brillante, et qui nous menace de sa queue. Si elle approche, nous pourrons bien nous trouver réunis ; mais en si nombreuse et si mauvaise compagnie que nous n’aurons pas le temps de parler. Je crois pourtant que, malgré le nombre, il n’y aura pas d’espions dans ce moment-là.

Je vais me remettre à mon Polythéisme. Vous êtes une partie de mon public. Il se réduit à cinq ou six personnes. C’est assez, et je n’ai pas besoin d’une autre espérance. Ecrivez-moi directement à Göttingue. Mon beau-père quitte sa campagne pour aller à Cassel ; et moi je vais m’établir près de la Bibliothèque. Je vois beaucoup Villers, qui est toujours bon et aimable, mais ni lui ni moi ne sommes ce que nous étions à nos dîners de 1803. C’était un bon temps. Je vous aime et vous embrasse. Songez qu’une lettre est un vrai bonheur.


XXVII


Göttingue, ce 2 décembre 1811.

On dirait, cher Prosper, que vous aviez lu dans mon esprit et dans mon cœur, quand vous m’écriviez votre dernière lettre. Il y a entre nos pensées une étonnante analogie. La seule différence qu’il y aura peut-être entre nous, c’est que le sort, qui m’a repoussé loin de toute carrière active, me permettra d’exprimer ce que nous pensons tous deux avec plus de développemens. Mais mon ouvrage sera bien dans votre sens. J’y ai été conduit par une foule innombrable de faits, envisagés avec d’autant plus d’impartialité que je les ai recueillis dans un sens contraire, et que mes habitudes et la direction de mes idées m’ont même porté longtems à leur faire une sorte de violence pour les plier à l’intention de mon entreprise. Mais comme j’étais de bonne foi, la violence n’y a rien fait. Les preuves ont réagi sur moi, le cœur humain s’est montré ce qu’il est quand le sentiment religieux en est banni, et le sentiment religieux lui-même n’a pu