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Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 34.djvu/572

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qu’avec quelques idées. Quand je les interromps et que la chaîne s’en brise, je ne suis plus qu’une poussière inquiète et souffrante.

Je viens de lire la correspondance d’Horace Walpole en anglais, non pas ses lettres à Mme du Deffant, mais à ses amis et sur Mme du Deffant, et sur la France. J’ai pris beaucoup meilleure opinion : il y a, dans sa conduite et dans ses lettres, de la droiture, de la noblesse et beaucoup d’esprit. Ses jugemens sur notre Révolution m’auraient bien scandalisé autrefois. Je les signerais aujourd’hui, ainsi que ceux sur notre nation en général. C’est une lecture toujours intéressante que celle d’une correspondance qui dure près de cinquante ans. On voit tant d’espérances qui n’ont pas de suite, sans que celui qui les avait conçues en soit plus malheureux, tant de projets dont les uns échouent sans que celui qui les avait formés s’en trouve plus mal, et dont les plus fâcheux d’ordinaire sont ceux qui réussissent, qu’on se calme sur soi-même, et qu’on finit par voir que le mieux est de gagner la fin de la vie sans trop de douleurs.

Adieu, cher Prosper. Je désire que ma lettre vous parvienne, et je vous supplie d’en risquer une en réponse, le plus tôt que vous pourrez. Nous ne disons rien qui ne puisse être lu par le monde entier et le moment de notre réunion devient trop incertain pour que vos lettres ne me soient pas nécessaires.

Au moment où je finis cette lettre, j’en reçois une de Hochet qui m’annonce les couches de Mme de Barante. Je vous en félicite de tout mon cœur. C’est un bonheur qu’une telle inquiétude de moins et parmi les chances de la vie, les relations de père et de fille sont peut-être l’une de celles qui promettent le plus de bonheur.


XXXV


(Paris, 1814.]

Mon cher Prosper,

Je suis tout honteux : une affaire qui m’a pris à sept heures du matin et qui a duré jusqu’à présent m’a non seulement fait oublier votre invitation, mais forcé tellement à parler, que je suis hors d’état de lire. Comme il n’est pas juste de vous avoir fait attendre pour rien, je vous envoie le roman[1] en vous

  1. Adolphe.