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« — Je ne dois rien commander, dit-il, mais dire ce que je sais et, s’ils veulent, il sera battu.

« Il me disait :

« — C’est nous qui devons réparer les maux que nous avons faits, afin qu’on ne se venge pas sur nous.

« Il a son plan pour entrer en France ; tout est fondé sur dix ans de méditation. Deux Français vont commander la croisade : l’un est Suédois ; l’autre est à nous et pour toujours, un des plus grands capitaines de son siècle et un des hommes les plus modérés et les plus modestes que je connaisse.

« — Je deviendrai, disait-il, postillon comme le prince Eugène ; je courrai sans cesse d’un roi à l’autre pour les accorder ; je voyagerai les nuits et me battrai le jour.

« Et tout cela dit avec un an de paix et de modestie qui enchante. Ce trésor nous est arrivé d’Amérique en trente jours. Le vent est bon, mon cher ami ! »

Communiquée par le comte de Bouillé à Louis XVIII, cette lettre enthousiaste lui suggéra l’idée d’envoyer auprès de Moreau une homme de confiance chargé de se concerter avec lui sur les moyens à prendre pour faire bénéficier la cause royale de ses heureuses dispositions. Il y avait alors à Londres un vieil émigré qui jadis l’avait connu. Il se nommait Bascher de Boisgely. C’est à lui que Blacas recourut pour interroger Moreau et recevoir ses conseils. Afin de faciliter l’accomplissement de sa mission, il lui remit un questionnaire auquel le général devait répondre. Ses réponses traceraient au Roi sa conduite.

« Quelles sont les idées du général Moreau sur l’opinion actuelle de la France et sur les moyens de mettre en action le mécontentement qui y règne ?

« Quel serait, à cet effet, le langage le plus propre à concilier tous les sentimens, à calmer toutes les craintes, à encourager toutes les espérances ?

« Quel moyen peut-on entrevoir de former, soit en France, soit hors de France un noyau d’armée française sous les ordres du général Moreau ? Serait-il capable d’armer, dès à présent, contre Bonaparte les prisonniers de guerre qui se trouvent en Allemagne, ou en Russie, ou en Angleterre ?

« Dans l’une ou l’autre de ces suppositions, la présence d’un prince de la Maison de France serait sans doute indispensablernent nécessaire à cette armée. Son arrivée préalable aux armées