Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 34.djvu/671

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Louis XVIII lui-même. Il s’empressa d’en profiter, ainsi qu’en fait foi le message qu’il lui expédia de Liège, le 4 avril 1814, en signant de son nom dynastique « Charles Jean. »

« Sire, j’ai rencontré à Kayserslautern le comte de Bouillé qui m’a remis la lettre que Votre Majesté m’a fait l’honneur de m’écrire. Je m’empresse d’y répondre et de vous assurer, Sire, qu’on ne peut être plus sensible que je ne le suis à la confiance que Votre Majesté a placée en moi et à tous les témoignages qu’elle veut bien m’en adresser elle-même ou m’en faire donner par M. de Bouillé. Je me hâte de dépêcher M. Gré vers Votre Majesté pour lui en porter mes remerciemens, et pour lui dire que des circonstances sans cesse renaissantes, mais toujours périlleuses pour la cause et pour moi, ont pu seules retarder l’exécution d’un plan que je médite depuis longtemps. Ce plan, Sire, formé selon mon cœur se trouve aujourd’hui fort de l’intérêt de ma politique et du besoin de mettre un terme aux malheurs qui déchirent depuis tant d’années notre belle Mère patrie.

« J’ai eu de grandes obligations et de grands devoirs à remplir envers la brave nation qui m’a appelé. J’ai reconnu l’impérieux besoin de ne point heurter des idées peu conformes aux miennes, mais tout en reconnaissant qu’un prince qui s’éloigne des vues générales des hommes qu’il est appelé à gouverner un jour, s’expose à s’en voir totalement abandonné. J’ai dû me soumettre à ce penchant de la nation suédoise sans cependant perdre de vue l’espérance d’aider à rétablir en France les descendans du grand et bon Henri. J’ai, dès mon jeune âge, approché son berceau ; ce souvenir est bien propre à exalter le cœur d’un Béarnais, et surtout d’un Béarnais devenu prince. Instruit dès l’enfance des droits du peuple de ce pays, des lois et des coutumes qui le liaient à ses souverains j’ai souvent éprouvé un noble orgueil en pensant que je pourrais un jour leur être utile. Un motif si beau a contribué à me faire quitter les montagnes et les forêts du Nord et à me séparer d’un souverain qui a pour moi toute la tendresse d’un père, et d’un fils qui fait toute mon espérance.

« M. de Bouillé a déjà dû rendre compte à Votre Majesté de tout ce que je lui ai dit à mon retour de Nancy. J’ai éprouvé qu’il est des situations dans la vie où ce qu’on désire le plus doit être ajourné soit pour sa propre conservation soit pour l’intérêt de la cause qu’on veut servir et je l’ai chargé de dire à Monsieur,