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Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 34.djvu/672

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que Son Altesse Royale pouvait se rendre-à mon quartier général lorsqu’elle jugerait que l’occasion est favorable.

« En me remettant la lettre de Votre Majesté, M. de Bouillé m’a communiqué les instructions qu’il a reçues ; je l’ai chargé de lui rendre compte que j’acceptais ce qu’elle m’offrait et M. Gré qui a ma confiance et qui connaît mes sentimens est chargé d’en réitérer l’assurance à Votre Majesté. »

Nous n’avons pu découvrir où ni à quel moment Louis XVIII reçut ces tardives protestations. Mais il est certain que lorsqu’elles lui parvinrent, le concours du prince royal de Suède ne lui était plus nécessaire. Les récits de Narbonne, de La Ferronnays, de Bouillé, cités plus haut, autorisent d’ailleurs à penser que c’était folie de l’avoir espéré.

Ce n’est pas la seule erreur de ce genre qu’ait commise Louis XVIII pendant son séjour à l’étranger. Il avait eu foi dans Dumouriez, dans Pichegru, dans Moreau, et les déceptions successives que rappellent ces noms tristement fameux, laisseraient, non moins que celle qu’il devait à Bernadotte, planer un doute sur sa perspicacité, si l’on ne savait combien sont fragiles les espoirs qu’engendre l’exil et trompeurs les jugemens à la faveur desquels ils naissent, se développent et se formulent en résolutions.

Du moins, à l’heure oh ses douloureuses aventures touchaient à leur dénouement, tout contribuait à lui faire oublier ces déceptions cruelles. Il voyait enfin le terme de ses malheurs et, s’il ne se dissimulait pas les difficultés qui l’attendaient aux Tuileries, il se livrait du moins sans contrainte à la joie d’entendre retentir à ses oreilles, comme autrefois à celles de ses aïeux aux beaux jours de Versailles, le cri : Vive le Roi ! Les vents favorables qui soufflaient de France comme pour lui en ouvrir le chemin, lui portaient sur leurs ailes avec l’appel des fidèles partisans de sa cause, des effluves sains et bienfaisans, réparateurs de ses longues infortunes. Le 19 avril, suivi du duc d’Havre, du comte d’Agoult et du comte de Blacas, il s’embarquait à Douvres sur une frégate anglaise et le 23, à Calais, il mettait le pied sur le sol de sa patrie, vingt-quatre ans après en être sorti, et sans avoir jamais désespéré d’y revenir. Parti en fugitif, il y rentrait en roi.


ERNEST DAUDET.