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Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 34.djvu/675

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une « tendance » naturelle du langage et de l’esprit, s’exaspérant jusqu’à la maladie, sous l’empire de circonstances qu’il resterait à déterminer ? et, selon que l’on se range à l’une ou à l’autre de ces deux opinions, quelles conséquences en résulte-t-il, je ne dis pas en général et au point de vue quasi métaphysique de la définition du rire et de ses espèces, mais, en fait, et encore une fois, dans l’histoire de notre littérature ?


I

« De tout temps il a existé, en France, une littérature facétieuse, où s’est épanchée cette gaieté qui est un des signes distinctifs de notre race. Dans chaque siècle, sans exception, il y a eu des poètes pour chanter « le vin, le jeu, les belles » ensemble ou séparément ; il y a eu des poètes grivois, il y a eu aussi des auteurs bouffons, qui ont semé à pleines mains dans leurs œuvres le gros sel de la farce, et provoqué le rire de la foule par l’énormité de la plaisanterie. Mais ces joyeux écrivains ont fait partie le plus souvent d’une société fermée dont ils étaient lus et à laquelle ils s’adressaient, et ils ne se sont pas beaucoup mêlés au grand courant de la littérature nationale : telle fut la bande de Villon, la troupe des rouges trognes qui entourait Saint-Amant, le cercle du Caveau au XVIIIe siècle, et la bohème de nos jours ; ou bien c’étaient des personnages très graves, parfois des savans en us, qui se divertissaient eux-mêmes par ces gaillardises ; ou bien enfin, s’il s’agit d’un écrivain de génie, comme Rabelais, il a su cacher, sous l’écorce grossière de la facétie, « la substantifique moelle. » Mais c’est seulement à l’époque de la Fronde qu’on vit ce spectacle singulier : la nation presque tout entière devint propre à goûter les plaisanteries les plus ridicules, les idées et les expressions les plus grotesques ; pour lui plaire il fallut travestir sa pensée sous un déguisement carnavalesque, s’appliquer à rendre trivial tout ce qui était distingué, bas ce qui était élevé, vulgaire ce qui était noble. L’équilibre qui existait entre le bon sens et la fantaisie, la raison et la folie, fut rompu, la facétie sortit de la demi-obscurité où elle se confine volontiers pour être plus libre, et trôna, éclipsant tous les autres genres littéraires ; le burlesque, puisqu’il faut l’appeler par son nom, régna en maître et devint, pendant quelques années, un genre national. »

Il l’a, dans cette jolie page, que j’emprunte au Scarron de