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poésie « bernesque ; » et tel est bien, dans notre littérature, l’an au moins des caractères du burlesque. Il y a tout ensemble ici de la sensualité, du cynisme, et de la grimace. Il y a aussi du « réalisme, » parce qu’il en faut pour décrire ou représenter avec exactitude ce que, dans le cours ordinaire de la vie, on est plutôt accoutumé d’éloigner de ses yeux comme un objet de dégoût et d’horreur. L’éloge de la gale, par exemple, serait un bon thème de satire bernesque. On nomme ici par son nom ce que les honnêtes gens, quand ils en parlent, enveloppent de métaphores ou d’infinies circonlocutions...

Mais ce même caractère n’est-il pas aussi l’un de ceux du « roman picaresque : » Lazarille de Tormes, la Fouine de Séville, Don Pablo de Ségovie ? Là en effet le point d’honneur est d’être un parfait picaro, ce qui veut dire, comme l’on sait, en bon français, un drôle accompli. Les actions dont on se fait gloire sont de celles qui mènent généralement en droiture un homme aux galères ou à la potence, et, naturellement, quand on les raconte, ce n’est point en style de cour ni même d’alcôve. Il faut écrire selon qu’on agit ! A cet égard, — et sans en procéder historiquement le moins du monde — le roman picaresque offrait donc aux imaginations le même attrait pervers que la poésie « bernesque. » Il offrait les mêmes élémens à l’imitation. C’était encore et toujours le Moi qui s’étalait, quelquefois dans les mêmes attitudes, et quand ce n’étaient pas les mêmes, alors, au lieu du Moi d’un bourgeois égoïste et corrompu, comme Berni, c’était le Moi des filous et des filles de Madrid et de Séville. Le langage, après cela, ne différait qu’en un point : s’il y a plus d’obscénités dans la poésie « bernesque, » il y a plus de grossièretés, il y a surtout plus de férocité, dans le roman « picaresque. » Mais c’était bien au fond la même chose ; et on conçoit aisément qu’aussitôt que le désordre du temps l’a permis, c’est-à-dire dès le début de la régence d’Anne d’Autriche, 1643-1644, les deux courans se soient rejoints, unis et confondus pour donner naissance à notre « burlesque. »

C’est ce qui suffirait, quand nous n’en aurions point par ailleurs d’excellentes raisons, pour nous empêcher de voir dans le développement du burlesque une réaction contre la « préciosité. » Nulle opinion n’est plus fausse, quoique nulle opinion ne soit plus répandue, et qu’on la retrouve à peu près dans toutes nos histoires de la littérature. Théophile Gautier, vers