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Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 34.djvu/680

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1844, écrivait dans ses Grotesques : « Depuis Malherbe, la langue française a été prise d’un accès de pruderie et de préciosité dans les idées et dans les termes vraiment extraordinaire. Tout détail était proscrit comme familier, tout vocable usuel comme bas ou prosaïque. L’on en était venu à n’écrire qu’avec cinq ou six cents mots, et la langue littéraire était, au milieu de l’idiome général, comme un dialecte abstrait à l’usage des savans. A côté de cette poésie si noble et si dédaigneuse, s’établit un genre complètement opposé, mais tout aussi faux assurément, le burlesque, qui s’obstinait à ne voir les choses que par leur aspect difforme et grimaçant, à rechercher la trivialité, à ne se servir que de termes populaires ou ridicules. » Encore Gautier discernait-il fort bien ce qu’il y a dans le burlesque de voulu ou d’artificiel, et l’opposait-il moins à la préciosité, d’une manière générale, qu’à la doctrine de Malherbe. Il commentait d’ailleurs, en cet endroit de son Scarron, la préface de Cromwell, et il essayait par avance d’excepter « le grotesque » de la condamnation qu’il allait porter contre le burlesque. Il croyait en avoir trouvé le moyen dans une distinction qu’il faisait entre la « bouffonnerie » et la « parodie ; ~ » et il disait, à ce propos : « Nous admettons parfaitement la bouffonnerie... mais nous avouons ne rien comprendre à la parodie, au travestissement. Le Virgile travesti, un des principaux ouvrages de Scarron, et celui qui a fondé sa réputation est à coup sûr un de ceux qui nous plaisent le moins. » La distinction de Gautier mérite certainement d’être retenue.

Mais l’opinion qu’il exprimait s’est accréditée depuis lors, et il n’est pas douteux que, d’une manière générale, dans nos histoires de la littérature, les Théophile de Viau, les Saint-Amant, les Cyrano de Bergerac, et Scarron au-dessus d’eux, nous soient tous donnés comme les représentans de la liberté d’écrire, et même quelquefois de « penser. » Tandis que donc, sous la triple influence de l’hôtel de Rambouillet, de l’Académie française à ses débuts, et bientôt de la cour de Louis XIV jeune, une littérature aristocratique se formait, précieuse et galante, héroïque et romanesque, « noble » et mondaine, oratoire et morale, — qui serait celle que nous retrouvons dans les Lettres de Balzac et dans les Œuvres de Voiture, dans les romans de La Calprenède, sa Cassandre ou sa Cléopâtre, et dans ceux de Mlle Scudéri, dans les tragi-comédies de Du Rver, de Tristan, de Rotrou, de Corneille