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Cependant, c’est le contraire que nous voyons se produire ; et, à cet égard, puisque c’est lui que l’on veut qui soit le maître du genre, il n’y a rien de plus caractéristique ni de plus probant que le cas de Scarron. Sa première protectrice a été Mlle de Hautefort, l’amie de Louis XIII, une « très grande dame, » la même qui depuis, sous les titres de maréchale et duchesse de Schomberg, sera la protectrice, à Metz, des débuts de Bossuet. Grâce à elle et un peu par elle, sans doute, nous le voyons de bonne heure en relations presque familières avec ce que l’on pourrait appeler toutes les grandes « précieuses » du temps : Mme de Sévigné en est. « Il se fait porter chez ces dames ; » et dès qu’il a épousé Françoise d’Aubigné, ce sont elles qui viennent chez lui, dans son petit hôtel de la rue Neuve Saint-Louis. Les grossièretés de ses Mazarinades ne lui ont pas fait plus de tort auprès de tout ce beau monde que les inepties et les obscénités de son Virgile travesti. On admire universellement sa gaîté, son enjouement, son esprit. Ainsi le grand Balzac, dans une Lettre célèbre, dont les éditeurs de Scarron feront la préface naturelle de ses Œuvres. Enfin, — consécration suprême, — c’est Mlle de Scudéri elle-même, dans sa Clélie, qui le met, sous le nom de Scaurus, au premier rang des poètes de son temps : Mme Scarron, on le sait, y figure à côté de son mari, sous le nom de la belle Lyriane[1] ! Avouons que, si ce sont là les gens que Scarron a voulu « bafouer, » ils n’ont pas l’air, en tout cas, de s’en être aperçus. Et, ils ont eu raison, car la vérité, c’est qu’il n’a nullement voulu les bafouer, pas plus que ne l’a voulu son contemporain Saint-Amant ; ni se faire une réputation d’homme d’esprit à leurs dépens ; ni surtout et enfin, il n’a cru rompre avec un idéal littéraire dont on commence peut-être à voir que son « burlesque » n’est qu’une forme ou une variété.

Parcourons, en effet, les Lettres de Balzac, ou, si l’on le veut, celles de Voiture, ou encore les tragédies de Tristan et de Théophile : Mariamne, la Mort de Crispe, Pyrame et Tisbé. Quand Théophile écrivait les deux vers devenus fameux :


 Ah ! voici le poignard qui du sang de son maître
S’est souillé lâchement. Il en rougit, le traître;...

  1. C’est sur la situation de Scarron dans la société de son temps qu’on lira avec intérêt le livre de M. Emile Magne. Les articles de M. de Boislisle renseigneront le lecteur sur le mobilier, le ménage, les habitudes domestiques et la condition pécuniaire du poète.