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Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 34.djvu/686

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du Malade imaginaire n’est proprement que du burlesque. Ils ne sont aussi tous les deux que du « travestissement[1], » L’École des Femmes est de l’observation.

Et voici maintenant ce qui distingue le « burlesque » d’avec le « satirique » ou d’avec l’ironie : c’est que le burlesque ne s’inspire d’aucune intention qui le dépasse. Boileau, dans ses premières Satires, ne s’en rendra pas très bien compte, et, à vrai dire, ses Embarras de Paris, ou son Repas ridicule, dont les romantiques affecteront de faire autant ou plus d’estime que de ses plus belles Epîtres, ne sont que du burlesque. Pourquoi cela ? parce qu’il n’y laisse percer d’autre intention que de faire rire, et, comme un simple Scarron, tant aux dépens des choses dont il se moque, que par le moyen ou l’étalage de sa propre virtuosité. C’est encore un caractère du burlesque. Ses travestissemens ne mènent ni ne riment à rien. Ils sont leur objet à eux-mêmes. Le poète nous invite à nous en amuser avec lui. Pas davantage ! Quand il fait l’éloge emphatique de la tomate ou du potiron, il ne songe nullement à nous en dégoûter. Il ne veut pas non plus nous donner une leçon de jardinage. On chercherait vainement une « symbolique » dans le Typhon. Au contraire, il y en a une dans les Voyages de Gulliver. Le propre du burlesque est de trouver en soi sa suffisante raison d’être. Mais sans. insister sur des distinctions, qui d’ailleurs ont leur importance, il nous suffit ici qu’en substance et au fond, le burlesque soit le « travestissement, » et ainsi, par définition, une altération ou une déformation de la nature.

Nous touchons le point capital. On croit communément de nos jours que l’art, en général, et la fiction poétique, en particulier, se seraient en tout temps proposé comme objet « l’imitation de la nature. » Il n’y a rien de moins conforme à la vérité de l’histoire. Nous l’avons dit plusieurs fois, ici même, et nous ne saurions trop le redire. Taine écrivait, dans sa Philosophie de l’Art, en 1867, et par conséquent au temps de la pleine faveur du « réalisme » : « Les plus grandes écoles d’art sont celles qui, dans l’imitation de la nature, ont le plus altéré les rapports réels des choses ; » et, comme il s’adressait aux élèves de l’École des Beaux-Arts, il invoquait, à l’appui de son affirmation,

  1. C’est Walckenaer, je crois, qui fait remarquer quelque part qu’aucune époque historique n’a poussé plus loin que la Fronde le goût du « travestissement ; et la remarque vaut la peine d’être retenue.