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Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 34.djvu/687

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l’exemple de Michel-Ange et celui de Rubens. En Sorbonne ou au Collège de France, il eût appelé en témoignage la tragédie de Corneille et le drame d’Hugo. Avait-il raison, après cela, de dire : « Les plus grandes écoles ? » C’est une question, et il ne s’agit point aujourd’hui de donner des rangs. Mais, pour ne pas sortir du champ de la littérature, et de la littérature française, il est bien certain que ni Ronsard et son école, ni Malherbe, ni surtout nos « précieux, » au début du XVIIe siècle ne se sont proposé d’imiter la nature, mais au contraire de l’ « orner, » de l’ « embellir, » ou, comme Balzac et comme Corneille, lorsqu’ils croyaient en avoir la force, de l’ « héroïser. » L’exemple de Corneille, à cet égard, est caractéristique, si l’on songe à cette « admiration » dont il a fait, comme l’on sait, le principal ressort de son théâtre, et qui la finalement conduit à cette énormité que « l’invraisemblable » était peut-être l’objet de l’art, ou tout au moins de son art : « Le sujet d’une belle tragédie doit n’être pas vraisemblable. » Or, Corneille, — et quoi qu’on en dise, — n’est lui-même que le premier, le plus grand, le plus illustre des « précieux, » mais un « précieux ; » et, à ce propos, il ne faut pas se lasser de rappeler que ni Molière, ni Racine, ni Boileau ne l’ont excepté des critiques qu’ils dirigeaient contre l’hôtel de Rambouillet.

Nous avons aujourd’hui la manie de réconcilier dans la mort des adversaires qui, tandis qu’ils vivaient, n’ont travaillé qu’à se nuire. Mais c’est bien à Corneille que s’en prend Molière dans le passage connu de sa Critique de l’École des Femmes sur la difficulté relative de la comédie et de la tragédie On exagérerait à peine si l’on disait que presque toutes les Préfaces de Racine sont dirigées contre Corneille. Le troisième chant de l’Art poétique, en ce qui regarde la tragédie, n’est qu’une comparaison de la tragédie de Racine avec celle de Corneille, — et au pire dommage de Corneille. Et sans doute, Boileau, Racine, Molière ont eu raison ! Car, tous les défauts des précieux, comme aussi toutes leurs qualités, sont ceux de Corneille, et ce qui lui ressemble, ou ce qui lui ressemblerait le plus dans la littérature de son temps, ce serait les romans de Mlle de Scudéri, Ibrahim, le Grand Cyrus, Clélie, si seulement la longueur n’en était pas insupportable, et le style plus banal encore que prolixe et verbeux. Mais la source d’inspiration est la même. On n’ « imite » ici la nature qu’en vue de l’ « embellir » ou de