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Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 34.djvu/707

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comment le protagoniste de la journée de une heure vingt minutes de travail ne serait-il pas, en telle affaire, le plus irrésistible des séducteurs ? Il faut au candidat un singulier mérite pour demeurer honnête.

Le mérite de l’électeur qui ne mord pas à l’appât est sans doute plus grand encore. Il se met lui-même, pour ainsi dire, hors la grâce des dieux tout-puissans ; il devient un suspect et se condamne à n’être qu’un demi-citoyen. Le plus surprenant en l’espèce n’est pas que le gouvernement puisse se réclamer des 5 025 331 électeurs qui ont voté au premier tour pour les candidats de gauche, mais bien que, dans ce pays si centralisé, si conservateur de ce qui est, si sensible à l’attraction des forces administratives, 3 606 728 électeurs aient eu la fidélité, la volonté, le courage de soutenir les adversaires déclarés de la politique gouvernementale. On ne saurait, en vérité, reprocher à leur politique d’être opportuniste et de se réclamer du do ut des. On peut dire d’eux qu’ils se sont montrés irréconciliables et incorruptibles puisqu’ils savent ne rien obtenir. Leur vote est une affirmation de principes. Le premier honneur de l’opposition est aujourd’hui dans ce fait même qu’après cinq années d’ostracisme, de délation et de « délégation, » elle ait continué d’exister, quand bien même elle se manifeste très certainement amoindrie.

Les germes de faiblesse qu’elle renferme en soi sont du reste nombreux. Elle est désunie, ombrageuse, jalouse, individualiste à l’excès et marche à la bataille sous quatre étendards divers au lieu de se grouper sous un seul drapeau ; elle craint les supériorités, quand il s’en révèle, et regimbe à leur discipline. Elle s’épouvante des nuances et leur sacrifie tout. Ainsi s’explique que, si l’on parle beaucoup de « l’anti-bloc, » on ne trouve guère à sa place que des fragmens : chacun y donne son avis, entendant le faire dominer. Cette opposition, singulièrement brillante à la tribune et souvent si courageuse, n’a même pas son conseil fédéral où préparer ses campagnes et ses attaques ; elle n’a pas de cadres, pas de « whips, » ne forme pas masse et chacun voudrait s’y voir, pour le moins, colonel. Elle n’a pas, dans le pays, depuis tant d’années qu’elle s’y exerce, une organisation locale, partant de la commune et aboutissant à la tête ; il lui faudrait ses « maires, » ses « sous-préfets » et ses « préfets. » Elle n’a pas en province de grands organes régionaux adaptés aux coutumes, aux besoins, aux exigences des populations, suffisamment