Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 34.djvu/722

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

religieux elle pourrait être transportée sur un autre, voire sur tous les autres, sans s’altérer et se briser, on s’est trompé. La clientèle des radicaux est en grande partie composée de petits propriétaires qui tiennent passionnément à leur propriété, de petits industriels, de petits commerçans, qui ne tiennent pas avec une moindre énergie à leur industrie et à leur commerce, enfin de gens pratiques, laborieux, économes, qui n’ont peut-être pas d’idées bien hautes, mais qui en ont de très solides, soutenues d’ailleurs par des sentimens très âpres. Pour eux, la justice sociale consiste à alléger sur leurs épaules les charges fiscales et à en rejeter le poids sur celles d’autrui ; mais pourquoi ? Pour qu’ils puissent encore augmenter leurs propriétés. Le jour où elles seront menacées, ils se révolteront comme un seul homme. Aussi longtemps que M. Jaurès les a invités à pourchasser des religieux, des religieuses, ou même des curés, ils ont dit de lui : Quel grand homme ! Dès qu’il leur a parlé d’expropriation, même avec indemnité, ils en ont dit : Quel rêveur dangereux ! Et leurs représentans à la Chambre le savent fort bien. Voilà pourquoi, quand ils ont vu M. Clémenceau prendre parti contre M. Jaurès, ils ont été du côté de M. Clémenceau ; et, quand ils ont entendu M. Poincaré réprouver les théories collectivistes et promettre une réforme de l’impôt qui respecterait les propriétés privées, petites ou grandes, ils ont été du côté de M. Poincaré.

Ce sont là des symptômes à relever : ils témoignent d’un état d’esprit qui n’a rien de socialiste. On le retrouvera sans doute toujours dans cette Chambre lorsqu’on y parlera de socialisme, — surtout lorsque les socialistes eux-mêmes voudront bien se charger de le faire.


Nous cherchons un peu partout les manifestations du courage de nos ministres : descendons du point où nous sommes pour en trouver ailleurs des exemples plus modestes. On nous assure que M. Briand a montré du courage en ajournant la réforme de l’orthographe. Nous ne demandons pas mieux de lui en donner le témoignage. Il est certain que M. le ministre de l’instruction publique a dû se soustraire à des suggestions très nombreuses et très actives pour prendre le parti qu’il a pris, au moins provisoirement : si sa résolution avait été définitive, son courage se serait élevé jusqu’à l’héroïsme et nous n’en demandons pas tant. L’Académie française s’est prononcée sur la réforme de l’orthographe, et il n’y a certainement pas lieu d’opposer à sa compétence, la première de toutes en pareille matière, celle du