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de la rente française est donc la condition sine qua non de tout impôt général sur le revenu, soit global, soit même cédulaire ; il faut s’y résigner.

Un autre obstacle qui, lui, est quasi insurmontable, c’est la répartition de la richesse en France ; notre pays, sous ce rapport, forme un complet contraste avec l’Angleterre. M. Jules Roche, au courage et au talent duquel nous sommes heureux de rendre hommage, l’a parfaitement démontré en ce qui concerne la richesse foncière, terres et maisons. Disons en passant que le très méritoire courage civique dont fait preuve M. Jules Roche en combattant le mirage de ces lois fascinatrices, l’impôt sur le revenu, les retraites obligatoires, ne lui a aucunement nui auprès du corps électoral, ce qui devrait induire beaucoup de ses collègues à suivre son exemple. M. Jules Roche a rappelé qu’il y a 1 150 000 propriétaires dans le Royaume-Uni, dont 850 000 ne sont que des propriétaires parcellaires, tandis que, en France, il y de 6 à 7 millions de propriétaires : cela crée une différence énorme pour la facilité de l’assiette et du recouvrement de l’impôt. En voici une autre, plus grave encore, et nous ne sachions pas qu’on l’eût jusqu’ici signalée. En Angleterre, toute la terre est affermée ; le revenu des terres est donc très aisé à connaître. En France, le fermage est l’exception ; d’après la plus récente enquête agricole, celle de 1892, sur 34 720 200 hectares cultivés, indépendamment des bois, routes, chemins, etc., le fer- mage n’occupe que 12 628 800 hectares ; le métayage en occupe 3 767 000 et enfin le faire valoir direct 18 324 000[1]. Cette répartition de la richesse et surtout ces modes de tenure de près des deux tiers du territoire décuplent les difficultés de l’assiette, en France, d’un impôt général sur le revenu.

Les difficultés vont être encore bien plus grandes pour les valeurs mobilières. En Angleterre, c’est une très petite minorité des habitans qui possède de ces valeurs ; on compte qu’il n’y a pas plus de 200 000 propriétaires de consolidés Britanniques ; en France, le nombre des inscriptions de rentes perpétuelles, en 1903, était de 4 502 188 ; sans doute, il y a des doubles et triples emplois ; mais il est certain que le nombre des Français qui possèdent des fonds nationaux est dix ou quinze fois plus considérable que celui des Anglais qui détiennent des fonds publics britanniques,

  1. Statistique agricole de la France. Résultats généraux de l’enquête décennale de 1892. Imprimerie Nationale, 1897, 2e partie, p. 236 et 237.