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MADAME DE CHARRIÈRE
D’APRÈS UN LIVRE RÉCENT


I

C’est une destinée assez bizarre que celle de Mme de Charrière. Vivante ou morte, elle a manqué plusieurs fois la célébrité. Et, cependant, il reste, à son endroit, un regret et comme un remords dans la conscience de la critique française. Un je ne sais quoi nous avertit que tout n’est pas dit ; que cette femme ne peut pas, ne doit pas disparaître ; qu’elle n’a pas su nous donner ou que nous n’avons pas su tirer d’elle tout ce qu’elle nous apportait. La Revue est intéressée, au premier chef, dans cette exhumation périodique qui pourrait bien aboutir, à une résurrection définitive. C’est ici que Sainte-Beuve fit, à deux reprises, vers le milieu du dernier siècle, une tentative mémorable pour remettre à la mode l’auteur de Caliste et des Lettres Neuchâteloises. C’est aussi dans ces mêmes colonnes que commença de se produire un nouvel et important effort qui atteint aujourd’hui son entier développement et que je crois appelé à réaliser son objet.

A peine entrevue de son siècle, elle ne réussit jamais à se faire jouer et trouvait de grandes difficultés à se faire imprimer. Plusieurs de ses ouvrages n’ont paru qu’en allemand ; d’autres sont demeurés en manuscrit et ont habité, depuis plus de cent ans, des tiroirs de commode ou d’armoire. Jamais, — pardon de ce détail, mais c’est la pierre de touche, — elle n’en a tiré un sou, pas même de ceux qui ont été le plus connus. Elle tenta la fortune des concours académiques, mais sans rien obtenir. Pourtant elle jouissait d’une certaine notoriété, moitié littéraire, moitié mondaine. On savait qu’il y avait au pied du Jura, dans un