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Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 34.djvu/805

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bourg voisin de Neuchâtel, une femme très bien née et de beaucoup d’esprit qui parlait et écrivait à merveille. Les étrangers qui traversaient la principauté allaient la visiter comme une des curiosités du pays et revenaient enchantés de sa conversation. Mais ces impressions s’effaçaient vite, à moins qu’il ne s’ensuivît un de ces commerces de lettres qui se traînent dans la langueur des amitiés à distance. Ses premiers romans avaient fait un certain bruit autour d’elle, un bruit qui n’avait rien de très sympathique, car la malignité locale avait vu des allusions personnelles dans certains traits de mœurs et dans certaines peintures de caractères. Elle se défendit comme se défendent les gens d’esprit, en donnant de nouveaux griefs à ceux qui se plaignaient de son humeur satirique. Si bien que les Neuchâtelois ne semblaient plus bien savoir s’ils devaient la dénoncer ou la prôner, en être mécontens ou en être fiers. Au milieu de tout cela, elle avait trouvé, non seulement à Lausanne mais à Paris, des critiques Justes et même favorables. Caliste était passionnément admirée de quelques femmes, au premier rang desquelles était Mme de Staël, mais Mme de Charrière repoussa cette admiration, — on verra pourquoi, — avec une brusquerie qui alla jusqu’à la violence. Ce qu’elle écrivit ensuite plut beaucoup moins ou se perdit dans le grand tumulte de la Révolution et des temps nouveaux qui commençaient. Quand elle eut disparu, la petite église, dont les fidèles ne se connaissaient pas entre eux, se perpétua. Mme Guizot, qui signait alors Pauline de Meulan, fit paraître dans le Publiciste, en 1809, une étude où elle exaltait non seulement Caliste, mais les Trois Femmes avec cette exagération qui accompagne toujours les véritables enthousiasmes. Ensuite, nouvelle éclipse. Mais, de 1830 à 1840, au lendemain de la mort de Benjamin Constant, on parla beaucoup de lui : comment n’eût-on pas parlé un peu de celle qui avait été en quelque sorte son éducatrice, sa marraine, selon l’expression de Sainte-Beuve ? Il trouvait galant et discret de jeter ce mot comme un voile sur une faute qu’il absolvait, d’ailleurs, sans la moindre difficulté. Nous nous demanderons tout à l’heure s’il ne convient pas de réhabiliter Mme de Charrière d’une indulgence dont elle n’a pas besoin. Quoi qu’il en soit, Sainte-Beuve donna sur Mme de Charrière, puis sur Benjamin Constant et Mme de Charrière deux articles qui parurent le 15 mars 1839 et le 15 avril 1844. L’analyse et les extraits des Lettres Neuchâteloises faisaient le charme