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hardi, qui fut l’ami de Mercier, l’admirateur de Restif et qui, en même temps, se disait et n’avait pas tort de se dire « le serviteur de Jésus-Christ. » On s’oublierait volontiers auprès de ces personnages de second plan qui figureraient parfaitement au premier. On s’attarderait dans ces chapitres d’un intérêt tout spécial qui nous présentent le défilé des prétendans de Mme de Zuylen — les lecteurs de la Revue en ont eu la primeur[1] — ou l’histoire de la bataille des éditeurs de Genève et de Neuchâtel autour du manuscrit des Confessions, ou le curieux tableau de l’émigration à Neuchâtel, une page à ajouter aux belles études de M. Ernest Daudet. Mais je ne me reconnais pas le droit de céder ici à ces fantaisies, à ces attractions bilatérales. Je ne dois point m’éloigner de celle qui fait le principal objet du livre et l’unique objet de cet article. En deux mots, je dirai le double, l’immense service que lui a rendu M. Godet. D’abord il a exhumé toute cette partie de son œuvre (partie considérable ! ) qui était ou caduque ou complètement inconnue. Puis il nous a montré en pleine lumière, sous tous ses aspects et à tous les momens de sa vie, l’âme que Sainte-Beuve nous avait fait entrevoir ; il a dégagé la femme de l’auteur. Or, la femme, c’est ce qui vaut le plus dans les ouvrages de l’auteur.


II

Faisons d’abord justice à ces ouvrages et dressons, avec M. Godet et d’après lui, son bilan littéraire.

J’élimine ses opéras, qui ne me concernent pas et que je n’ai aucun moyen de juger. Ce fut une des nombreuses erreurs où la jeta sa fièvre d’activité et d’émotion : elle se crut compositeur comme elle se crut peintre, poète, auteur dramatique et publiciste. Ces ambitions ne sont pas toutes aussi ridicules les unes que les autres. De cette vocation musicale, sur laquelle on ne nous laisse aucune illusion, il ne faut retenir que certains traits de caractère qui serviront à son portrait moral : persévérance enragée dans la poursuite de l’inaccessible et naïf optimisme quand elle se juge. « C’est très joli ! » écrit-elle sans hésitation et sans le plus léger déploiement de fausse modestie. Chansons, romances, opéras (l’un de ceux-ci alla vainement frapper à la porte de

  1. Voyez, dans la Revue du 1er juin 1891. Une jeune fille au XVIIIe siècle.