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l’Opéra-Comique), tout a péri, sauf quelques pages, et le peu qui subsiste ôte le regret du reste.

M. Godet, qui fut poète dans sa jeunesse et l’est encore quand il lui plaît, est presque aussi dédaigneux pour les vers de Mme de Charrière que pour sa musique. Sainte-Beuve est plus indulgent, quoique poète lui-même et d’une tout autre école, car vraiment il y a loin des Rayons jaunes au Barbet. Pour moi, je n’entends rien à ces choses ; pourtant il me paraît que la pièce mise en tête de la seconde édition des Lettres Neuchâteloises est jolie et spirituelle ; mais, peut-être, est-ce un crime pour les vers que d’être spirituels. Je viens de nommer le Barbet, cette petite fable qui fut son adieu au bonheur. Ceux qui la liront trouveront, je pense, comme moi qu’elle y attrape presque la bonhomie maligne, le tour élégant et libre, la sensibilité voilée et discrète du fabuliste qui lui était cher. Aujourd’hui que l’on grossit tout par des mots et qu’on prend des airs tragiques à propos de rien, comprendra-t-on cette façon d’exprimer une émotion profonde en l’atténuant d’un sourire ? Et la vengeance de la femme abandonnée n’y perd rien. Quand on lit cette fable pour la première fois, on la trouve mélancolique, humble et charmante ; à la seconde lecture, amère, féroce, impitoyable, et c’est ce qu’elle voulait être.

La politique eut son heure dans l’existence de Mme de Charrière. Jusqu’à son séjour à Paris, en 1787, elle ne paraît pas s’en être beaucoup souciée. Mais, au début de la Révolution française, elle éprouva le besoin de dire son mot. De là les Observations et Conjectures, etc., qui formèrent une quinzaine de fascicules, publiés, pour la plupart, par les soins de Du Peyrou chez son protégé Fauche, le libraire de Neuchâtel. Une de ces feuilles alla à Paris et valut au pauvre diable qui la vendit les honneurs de la Bastille. La première traitait des affaires de Hollande où le stathoudérat essayait de se transformer en royauté tandis que le parti populaire voulait une république pour de bon. À ce sujet, il est à propos de remarquer qu’elle n’échappa jamais à sa nationalité primitive. Elle se croyait cosmopolite et était restée Hollandaise. Deux autres fascicules, Bien Né et Aiglonette et Insinuante, sont, sous la forme de contes, des conseils adressés à Louis XVI et à Marie-Antoinette. Ces conseils ne semblent être jamais parvenus à leurs destinataires. S’ils avaient été lus, ils n’auraient pas été suivis et, s’ils eussent été suivis, ne les auraient pas sauves. Une des feuilles, qui traite de la question