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Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 34.djvu/812

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son œuvre. Ils sont à peu près du même temps. Le premier est une Défense de Thérèse Levasseur qu’elle entreprit, à ce qu’il semble, sans grande conviction, pour faire plaisir à son vieil ami Du Peyrou et, aussi, pour contredire Mme de Staël qu’elle avait déjà en grippe longtemps avant leur première rencontre et, par conséquent, bien avant leur rivalité au sujet de Benjamin Constant. Une seconde circonstance l’amena à prendre la plume dans la polémique qui s’engagea à propos des deux éditions rivales des Confessions, parues presque simultanément à Genève et à Neuchâtel. Le grand écrivain avait exprimé le désir que la seconde partie de son autobiographie ne vît le jour qu’au commencement du XIXe siècle. Mais le détenteur du manuscrit ne respecta point ce désir et, en 1788, paraissait, à Genève, une édition tronquée. Les éditeurs avaient omis, disaient-ils, certains passages contenant « de plates et grossières injures qui ne pouvaient que faire du tort à leur bilieux auteur. » C’est alors que Du Peyrou, possesseur d’une copie authentique, publia, à Neuchâtel, le texte intégral. On l’accusait d’avoir cédé à un motif d’intérêt, accusation contre laquelle sa haute probité et son immense fortune eussent amplement suffi à le défendre. Il voulut s’expliquer et le fit avec une gaucherie extrême. Mme de Charrière rédigea alors un Éclaircissement qui replaça les gens et les faits sous leur jour véritable dans quelque phrases claires, agréables, bien tournées et d’une jolie impertinence.

Enfin elle concourut, comme Mme de Staël, pour l’Eloge de Rousseau, proposé par l’Académie française et, pas plus que Mme de Staël, n’obtint le prix. Son discours se composait d’une soixantaine de pages dont quelques-unes sont remarquables. Rousseau, dit-elle, a été le bienfaiteur des hommes parce qu’il leur a appris à rêver. Musicien médiocre dans ses opéras, mais musicien incomparable dans son style, il a fait voir toute la majestueuse et douce harmonie dont les mots sont capables. Ce sont là des vues justes et brillantes, mais partielles. Ne voyant que des fragmens de Jean-Jacques, elle ne peut nous le montrer tout entier, soit que la nature de son esprit ne lui permette pas d’embrasser à la fois toutes les parties d’un sujet, soit qu’elle ne soit pas en complète sympathie avec son héros, ou pour ces deux raisons ensemble.

Je passerai légèrement sur les comédies de Mme de Charrière. Aucune ne fut jouée si ce n’est chez elle ; aucune ne fut imprimée,