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Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 34.djvu/827

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Mais sa ganté était dérangée. De là plusieurs voyages à la recherche d’une guérison, à Louèche et à Plombières où elle rencontra le baron d’Holbach. Elle alla à Strasbourg consulter Cagliostro, dont elle resta l’adepte fervente et ce fut encore là une de ses innombrables méprises sur les hommes, dont on a déjà vu plusieurs exemples.

Ce qui la remit d’aplomb, ce ne fut ni la contemplation des rochers de la Meillerie, ni la petite classe rurale de géographie, ni l’attendrissement philosophique de M. de Charrière, ni Plombières, ni Cagliostro, mais ce fut d’écrire les Lettres Neuchâteloises, Mistress Henley et les Lettres de Lausanne.

Nous sommes en 1784. La phase littéraire commence. La phase politique lui succédera, puis la phase musicale, en attendant la phase finale qui sera la phase pédagogique. Quant aux phases amoureuses, elles correspondent aux âges, aux états d’âme que traverse la femme, à ses différentes manières d’envisager ses relations avec l’autre sexe : le flirt, la passion, l’amour-amitié qui paraît ou croit être une sorte de maternité. On l’a entrevu dans ses deux premières phases : on va assister de plus près à la troisième. Ainsi va sa vie, dérivant au gré de ses ardentes fantaisies, toujours renaissantes, mais toujours déçues, changeant d’objet presque sans changer de nature. Elle nomme cela obéir à, son maître le Destin. Peut-être a-t-elle raison.


IV

La légère rumeur sympathique qui s’était faite autour de Caliste allait-elle grandir et se transformer en une vraie gloire ? C’était aux salons, aux bureaux d’esprit de la capitale qu’il fallait aller le demander. De là, je suppose, le voyage de 1786. Comme il est arrivé à bien d’autres qui se sont crus tout près d’être célèbres, Mme de Charrière fut détrompée en mettant le pied à Paris. En ces jours pleins de fièvre et d’attente, à la veille de la réunion des Notables, elle trouva les Parisiens occupés de tout autre chose que des malheurs de Caliste. Mais, dans le salon des Suard, où elle fréquentait assidûment, elle rencontra celui qui allait tenir une si grande place dans sa vie.

Benjamin Constant (il s’était déjà débarrassé de la double particule[1], sauf à la reprendre quand besoin serait) avait

  1. On sait que son nom était Benjamin de Constant de Hebecque.