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Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 34.djvu/841

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Mariammin, aux origines, était la femme du pénitent Chamadaguini. En elle engendra Vichnou dans son avatar de Parasourama, sa sixième incarnation. La mère du Dieu devint déesse, elle-même. Mais cette condition était soumise à l’observance de la parfaite pureté. Les dieux, fidèles à leur usage, ne manquèrent point de la tenter. Un jour qu’elle puisait de l’eau dans un étang et que, suivant sa coutume, elle la façonnait en un globe solide, pour la porter plus commodément à sa maison, elle vit se refléter à la surface de l’étang des ligures de Grandowers qui voltigeaient au-dessus de sa tête. Ces Grandowers sont des sylphes auxquels les dieux ont départi la parfaite beauté, pour égarer les femmes. Mariammin, que sa divinité incomplète ne mettait pas à l’abri du désir, fut aussitôt prise d’amour pour ces génies merveilleux. L’impureté étant ainsi entrée dans son cœur, l’épouse de Chamadaguini perdit le don de solidifier les eaux. Le liquide qu’elle tenait retomba dans l’étang, et elle ne put jamais venir à bout de le recueillir en boule, suivant sa manière ordinaire. Elle dut se servir d’un vase ainsi qu’une simple mortelle.

Le pénitent connut à ce signe que sa compagne avait cessé d’être pure. Dans l’excès de sa colère, il commanda à son fils d’entraîner la coupable vers le lieu du supplice et de lui trancher la tête. Parasourama ne put désobéir à cet ordre. Mais il ne l’eut pas plutôt exécuté, qu’une douleur affreuse l’accabla. Chamadaguini, touché de son désespoir, lui permit alors de ressusciter sa mère, en rejoignant la tête au corps, non sans avoir murmuré à l’oreille de la décapitée une prière souveraine pour ramener la vie.

L’empressement de Parasourama fut tel qu’il commit une fâcheuse méprise, méprise irréparable et que son émotion seule peut faire excuser. Prenant le chef de Mariammin, il l’ajusta au corps d’une Parachi, prostituée qui gisait sur la place après avoir payé ses infamies du dernier supplice. Ainsi cet assemblage monstrueux donna à Mariammin les vertus d’une déesse et les vices d’une femme folle de son corps. Le pénitent s’étant empressé de la chasser de sa maison, elle parcourut le pays, en semant les crimes sur son passage. Son pouvoir malfaisant devint tel que les Deverkels, ces demi-dieux qui règnent aux quatre coins du ciel, ne crurent pouvoir l’apaiser qu’en donnant à Mariammin le pouvoir de guérir la variole, et en l’assurant qu’elle serait grandement honorée par le peuple quand séviraient les épidémies.