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Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 34.djvu/843

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tintent. Aux fenêtres carrées apparaissent des figures curieuses de femmes, jaunies par le curcuma. Ou bien c’est une charrette voûtée jonchée de paille où des filles, cachées sous des voiles de mille couleurs, scintillent comme autant de joyaux, en accompagnant chaque cahot de rires frais onde cris peureux.

A grand’peine nous nous frayons un passage, quoique la police, en corps, nous devance et nous flanque pour dégager la voie.

— Prenez garde à vos poches ! . — Tel a été le premier avertissement du chef de la police avant de nous laisser pénétrer dans cette foule. Les voleurs subtils y abondent, malgré la précaution qu’il a prise d’arrêter préventivement les plus réputés de ces industriels. Je les ai vus, ces bons callers, dignes représentans de cette vieille caste qui eut jadis l’honneur, paraît-il, de fournir quelques rois à l’Inde. Ce sont des filous notoires qui ont passé du territoire anglais sur le nôtre dans la louable intention de travailler de leurs mains aux fêtes de la déesse. Ils se tiennent rangés sous l’auvent du poste et attendent patiemment la fin de la cérémonie pour être relâchés et pouvoir retourner à leurs besognes. Des femmes sont mêlées aux hommes. Le commissaire me les a exhibées : aimables personnes, très convenables, elles ont une mine décente et savent sourire sans montrer les petits morceaux de verre qu’elles tiennent cachés entre leurs lèvres et leurs gencives, et dont elles se servent avec art pour trancher les fils des colliers.

Mais nous voici à l’entrée de la pagode où nous sommes salués par l’éléphant quêteur. Il a été prêté par le temple sacro-saint de Conjeveram. Saluant de la tête, il s’agenouille à demi, fait prendre à sa trompe les courbes les plus gracieuses, l’allonge pour saisir les petites pièces d’argent. Il les reconnaît à merveille, néglige la monnaie de billon et proportionne ses génuflexions à l’importance de l’aumône. Si elle lui paraît honnête, il brandit sa proboscide et barrit avec une clameur plus stridente que l’appel d’un cuivre. Les mendians qui m’assaillent sont une concurrence sérieuse pour, l’éléphant. Comment se débarrasser de cette tourbe, plus importune que les essaims de mouches qui s’empressent sur les gâteaux offerts par les fidèles ? Ils m’entourent, me harcèlent, me tirent par la manche, ouvrent un concours de plaies hideuses m’exhibent leurs ulcères en écartant leurs sordides haillons. Une poignée de caches lancée à propos me rend libre pour un ins tant ; j’en profite pour franchir le portique, tandis que les misérables