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d’instrumens. Sur ceux-ci, les entrepreneurs de révoltes agissent par des moyens très simples. Les mobiles qu’ils créent sont tirés des considérations les plus vulgaires de la vie. Jamais une idée élevée n’est exposée, jamais un objectif moral n’est proposé comme but. La plupart du temps c’est le fanatisme religieux qui fournit le meilleur prétexte. Vous n’en êtes pas à ignorer la fable, grâce à laquelle les cipayes musulmans furent lancés dans la grande insurrection de 1856. On leur donna à croire que leurs cartouches, — et ils devaient les déchirer avec leurs dents comme de coutume, — avaient été graissées avec du lard. Il suffit d’évoquer l’animal immonde pour que les fusils partissent tout seuls contre les Anglais, inventeurs de cette abomination. Si, par grand hasard, le Nana-Saïb et autres entrepreneurs de cette affaire où la Compagnie des Indes perdit son monopole, — et c’est là un des côtés considérables de la question, — avaient prêché ces mêmes cipayes au nom du patriotisme hindou, tenez pour certain qu’ils n’auraient pas recruté assez de partisans pour une pauvre et méchante émeute. N’oubliez pas non plus que l’Inde du Nord a été de tous temps célèbre par le mauvais esprit de ses populations, au contraire de l’Inde dravidienne habitée par les plus pacifiques des hommes. C’est pourquoi le Nord a toujours opprimé le Sud.

Le moyen employé par les fauteurs des troubles de Vellore, cinquante années avant la grande révolte des cipayes, rentre dans une catégorie similaire. On raconta aux fusiliers natifs que les nouveautés apportées dans l’équipement allaient contre la religion de leurs pères, qu’ils fussent brahmanistes ou musulmans. Sans compter une forme nouvelle de turban qui déplut, un tournevis nouveau suffit pour amener la révolte. De ce tournevis, pareil en cela aux clefs des anciennes arquebuses dont les ailerons renforcés autour de l’œil carré simulaient les branches d’une croix, la figure était celle de l’emblème du christianisme. Il n’en fallut pas davantage pour que les cipayes de Vellore se crussent à la veille d’être institués chrétiens, par ordre. Les émissaires de la famille de Tippou-Saïb surent jouer de ce tournevis pour le plus grand profit de la cause mysorienne. A un demi-siècle de distance, la cartouche à graisse de porc n’obtint pas un moindre succès. Tant il est vrai que l’histoire est un continuel recommencement...

La forteresse de Vellore est une ville au sein de la ville et