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Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 34.djvu/862

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surprise entrevoir un pauvre détail. Ainsi, il y a un mois, ai-je aperçu, dans le palais de Calicut, du haut d’une vérandah, très basse, les princesses et les brahmines se baignant dans le bassin de la cour intérieure, au retour de funérailles. J’ai eu la vue pleine et entière des plus beaux corps du Malabar et du Coorg, dans le cadre de la demeure royale où Vasco de Gama et ses compagnons furent reçus, voici plus de quatre siècles, par le Zamorin en personne. Cette demeure garde dans son enceinte la plus curieuse des pagodes de la contrée, et, pour tout dire, la seule qui ait échappé à la rage iconoclaste d’Hyder-Ali et de Tippou-Saïb. Je doute que le Zamorin ait donné au navigateur portugais le spectacle dont j’ai joui dans son vieux palais. Aussi bien n’ai-je point à me prévaloir d’une indiscrétion où ma curiosité d’artiste et d’observateur peut me tenir lieu d’excuse. Le rajah interné dans le palais de Vellore n’aura pas eu, je pense, à blâmer ses femmes pour s’être exposées, avec une indifférente complaisance, aux regards de l’étranger. Elles nous ont tourné le des trop vite, et avec un trop parfait ensemble, pour que l’assistant collecteur ait pu, non plus que moi, contempler autre chose que leur chignon oblique, leur échine souple, leurs bras cerclés d’anneaux, et encore l’espace d’un instant.

Le rajah était absent d’ailleurs... « Pour ses affaires... Un petit voyage... Oh ! très court !... » ; Et le ministre qui hasardait ces mensonges, au beau milieu de la cour déserte, un petit brahme mal rasé, mal vêtu, et dont la main prompte ramenait sur une poitrine velue son écharpe en désordre, tournait furtivement la tête du côté du mandapam pour témoigner de la véracité de son dire. Mais l’assistant collecteur insistait, et le « ministre » commençait de faiblir, lorsque sortit du logis à colonnes un pauvre Hindou que je reconnus aussitôt pour un mendiant.

La petite monnaie divisionnaire de l’Inde étant fractionnée jusqu’à moins d’un liard, j’ai toujours dans ma poche une poignée de « caches » afin de prouver ma libéralité à bon compte. Je m’apprêtais donc à gratifier ce malheureux de quelque billon, quand je reconnus mon erreur. Le Prince se dressait devant nous. En vérité il était plus pauvrement accommodé que le brahme, ses pagnes, au moins aussi crasseux, gardaient une pire ordonnance, et ce grand de la terre portait sa tête rasée sans coiffure, ce qui est le comble du négligé dans la toilette pour qui sort de sa maison en cérémonie. Et je pensai à Soupou et