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région fut, suivant les légendes, le berceau des Tchatrias. Au Malabar, sous le nom de Naïrs, ils continuent de mener leur existence féodale, dans la solitude de leurs vastes propriétés foncières, exerçant sur leur entourage une autorité despotique, et ne perdant rien, avec le temps, de leur férocité altière et de leur orgueil effréné. Quelque jour, souhaitons-le, se lèvera un autre Rudyard Kypling qui nous peindra dans son entière originalité le tableau de cette société naïre du Malabar et du Coorg. Mais cet écrivain de choix devra pénétrer dans des pays inhospitaliers entre tous ceux de l’Inde brahmaniste, où la porte de toute habitation est close pour l’étranger, où les domaines s’entourent de fossés à remblais qui prêtent à chacun d’eux l’aspect d’un camp retranché. Et des armées de serviteurs fanatiques veillent derrière ces levées de terre rouge pour éloigner du maître le contact de l’homme de basse caste, pour lui épargner jusqu’à la vue du paria...

Les radjpoutes du Carnate n’empruntent point des espèces aussi redoutables. Pauvres diables toujours entre deux verres de brandy ou d’arack, ils subsistent le plus souvent grâce aux artifices d’une mendicité noblement exercée dans ces villages, où jadis, suivant une rumeur publique à laquelle ils n’opposent aucun démenti, leurs pères régnaient en maîtres incontestés de par la loi de l’épée. L’époque de leur dépossession s’enveloppe toujours dans les nuages des obscurités de l’histoire. Pour ne pas mécontenter le gouvernement anglais qui leur fournit la sportule, ces nécessiteux de race rendent généralement les Musulmans responsables de leur primitive disgrâce. Des petits poèmes, modernes pour la majorité, chantent les prouesses possibles de ces paladins incertains. Entre ces Tchatrias de hasard, les plus favorisés sont bien ces principicules dont l’Angleterre a pris les possessions, en échange d’une pension. Mais celle-ci, fût-elle portée au décuple, ne suffirait jamais à désaltérer le pensionné qui s’endette, tripote, se lance dans des aventures, ébauche des conspirations où la police fournit les affidés de confiance. Puis, finalement, le radjpoute aux abois s’aplatit, et subit l’internement dans une forteresse avec son « Conseil des ministres. »

Encore des portes à bossettes de fer doucement arrondies en seins de femme, des serrures archaïques de style arabe, des cloîtres, des piliers et des cours. Nous voici dans ces petits bâtimens