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Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 34.djvu/865

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nus où les femmes de Tippou-Saïb traînèrent leur vie, après la disparition du maître. Une église méthodiste mitoyenne y fut leur unique distraction, et aussi un pied de henné pour se rougir à loisir la paume des mains, les ongles et la plante des pieds. De ce Lawsonia, mort et abattu depuis longtemps, un rejet a fourni un autre pied qui végète, et nous pouvons froisser entre nos doigts les feuilles de ce même arbuste où les bégoms et les ranis mysoriennes « jalouses des yeux de leurs gazelles » prenaient leur traditionnelle teinture. M’étant laissé aller jusqu’à m api loyer sur le sort de ces recluses dont la plus jeune compterait aujourd’hui plus de cent vingt ans, je m’attirai cette réponse du vieux gardien de ce sérail historique : « Que dis-tu là, sahib ? Si ces femmes n’avaient pas été ainsi enfermées, elles ne se seraient pas crues aimées du maître qui les aurait laissées exposées, après sa mort, aux regards et aux désirs de tous. »

Ces paroles m’ont frappé par leur judicieuse simplicité. Imposer nos préjugés occidentaux à qui n’en a cure est une de ces naïves outrecuidances dont je m’abstiens dans la limite du possible. J’approuvai le gardien ad honores de la prison où se flétrirent ces fleurs de jeunesse et de beauté et continuai d’examiner les logettes entourées de hautes murailles, sans une fenêtre, le petit promenoir où les princesses jouissaient de la seule vue du ciel et, le dimanche et les jours fériés, de la voix de l’orgue et des cantiques du temple protestant. Il leur était même loisible d’assister à l’office piétiste « pour se distraire, » — toujours d’après le gardien hindou, — par une sorte de guichet qui me fit penser à celui que j’ai vu jadis dans l’Eglise de l’Escurial, où il fut percé à l’usage de Philippe II. Qui vécut, en somme, le plus séparé du monde, du grand roi catholique ou des veuves de Tippou-Saïb ?... Je vous laisse libre de trancher la question...

Les bégoms et les ranis dorment maintenant leur éternel sommeil sous les stèles du cimetière princier, à proximité de la citadelle, environ trois cents pas vers l’Ouest. J’ai pensé, un instant, à y faire un petit pèlerinage. Mais comment reconnaître les tombes parmi les quatre cents qui entourent les dix principales ? Et, d’ailleurs, on m’apprend que ce cimetière n’est qu’un terrain vague où la basse végétation a tout envahi.

Laissant derrière nous le palais du rajah interné et le harem du « citoyen Tippou, » nous nous dirigeons vers la pagode. De celle-ci la bonne conservation est due à la conquête anglaise. Si