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resta désert jusqu’à ce que les Anglais, un demi-siècle plus tard, lui vinssent donner un nouvel emploi. Cette tradition est loin de me satisfaire, mais le temps me manque pour en exercer la critique, et, comme j’aurai à vous le répéter plus loin, il semblerait plus plausible d’attribuer la désaffectation de cette pagode à quelque conquête violente où le pillage aurait tenu sa place.

Entre toutes ses congénères de l’Inde dravidienne, la pagode de Vellore est une des plus intactes. Çiva, à qui elle était dédiée, y fut honoré sous le nom de Jalakanteswara, c’est-à-dire « résidant dans l’eau. » Des deux gopuras monumentaux qui surmontent les portes, le principal, celui de la première entrée, dresse à trente mètres de hauteur sa pyramide de sept étages, chargée de sculptures à profusion. La porte massive est défendue par deux grands pions de granit noir qui, sur un socle très bas, montent chacun leur garde avec la massue. Leurs bonnes proportions, la solidité de la facture, la perfection du travail, datent ces œuvres de la belle époque et dénoncent la main des statuaires de Tanjore. Le poli de la pierre dure n’a pas plus tué les finesses des détails que le caractère de l’ensemble. A peine sommes-nous engagés sous le porche où des abeilles sauvages bourdonnent et couvrent en laborieux essaims leurs gâteaux verticalement suspendus à quinze pieds au-dessus de nos têtes, que la forêt des piliers commence à nous entourer de ses fûts ciselés, repercés, élégis, divisés, et dont il n’est pas deux qui soient pareils. A droite, à gauche, courent les vestibules qui mènent à des péristyles, mandapams dont chacun peut être comparé avec justesse aux salles hypostyles des temples égyptiens. C’est sur une des colonnes de ce vestibule, qui coupe à angle droit le porche, que l’on peut voir le médaillon de ce fameux Bommi-Reddi, tenu, ainsi que je vous l’ai dit, pour le fondateur de la forteresse et du temple. Voici le mandapam du Kaliana, où l’on apportait chaque année, en pompe, le Çiva tiré du sanctuaire pour son mariage avec la déesse Parvati. Tout le Panthéon hindou vit dans la pierre, et les grandes dalles dont est composé le plafond portent sculptées les perruches chères à la déesse. Elles se suivent en cercle, avec, entre leurs griffes ou dans leur bec, la fleur du lotus. Autour de nous c’est un monde de dieux et de génies. Les figures, de proportions toujours faibles, dépassent rarement un mètre en hauteur ; toutes ont été taillées en haut relief dans le pilier même où elles s’adossent. Chacune