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Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 34.djvu/881

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s’apaise à Bruxelles, dans une fumée de tabac, une vapeur de lambic et de faro.

Ces chefs de groupes qui se livrent assaut ne cessent pas d’être des bourgeois qui s’amusent ; et de fait toute cette imagerie s’inspire des jeux populaires : la balançoire et le jeu de quilles. Sur une balançoire qui penche, M. Féron est mal assis ; et, comme la corde libérale craque et va rompre, il se raccroche désespérément à la corde socialiste : « Voilà où en arrive le doctrinaire : libéraux, jugez ! « Le jeu de quilles n’a pas fourni moins de quatre interprétations différentes ou contraires ; chaque parti a eu la sienne. Mais toujours, dans le texte ou dans l’image, sur l’affiche imprimée ou l’affiche illustrée, ce sont des partis qui s’en prennent à des partis, et presque toujours impersonnellement. Il y eut bien, par-ci par-là, quelque essai de particularisme, le plus souvent professionnel : une liste « d’agriculteurs, » une circulaire « d’agens de change, » un appel « aux cafetiers et cabaretiers ; » mais de candidat qui parlât franchement en son particulier et privé nom, je n’en vis guère qu’un seul ; il me parut inoffensif. Il s’appelait, si j’ai bonne mémoire, M. Dekens et se réclamait des idées de M. l’abbé Daens ; « Pêcheurs ! » s’écriait-il, et il jurait que nul, hors lui, n’était capable de défendre et de faire triompher les revendications des pêcheurs à la ligne, mêlant d’ailleurs étrangement, au paragraphe suivant, par une sorte de calembour involontaire, les lignes à pêche et les lignes de chemins de fer[1]. Plus encore que de partis, et plus encore que de listes, on eût dit que c’était une bataille de numéros. Quand le délai pour le dépôt des listes est expiré, on tire au sort l’ordre dans lequel elles figureront sur le bulletin commun ; et c’était donc la liste n° 2 (catholiques) contre la liste n° 6 (socialistes) ou la liste n° 7 (libéraux).

La veille même des élections, les rues ont leur physionomie de tous les jours ; ni plus de passans, ni de plus agités. Pourtant, à l’imitation de l’Angleterre et des Etats-Unis, on promène des voitures, de vastes et antiques tapissières, blindées d’affiches multicolores : « Votez pour la liste n° 2 ! 2 ! » Mais tant de belle humeur est dans l’air que cette répétition du n° 2 n’amène sur les lèvres qu’une innocente réminiscence des douces soirées de loto. A un carrefour de la ville haute, rue du Parchemin, une

  1. D’autre part, un « clérical dissident, » M. Scheerlinck, formait une liste à lui tout seul.