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Rome ; » c’est la religion des vaincus, et ils la méprisent ; c’est la religion qu’après avoir tout pris à l’Irlande ils n’ont pu confisquer, la religion qui a survécu aux massacres et aux « plantations, » à la famine et aux lois « pénales, » et qui les brave dans leur échec : de ce chef, ils la haïssent. Certes il y a, même en Irlande, des protestans qui ont le courage d’être libéraux ; on voudrait qu’il y en eût davantage ! Rien de pareil au monde, croyons-nous, à l’état d’esprit régnant aujourd’hui encore à Belfast ou à Portadown, où, périodiquement, émeutes et manifestations sont organisées contre les « Papistes, » avec coups de pierres, de poings et de bâton, où les « Papistes » sont insultés par les rues aux cris de Croppies lie down et de To hell with the Pope, les ouvriers « papistes » chassés des usines pour satisfaire les « orangistes : » notez qu’à Belfast, les protestans sont trois contre un ! Dans le reste du pays, tout en prêchant la paix religieuse, en criant à la persécution, on attaque le papisme dans les journaux, les placards, les réunions publiques ; mieux encore, on exclut en pratique les papistes des fonctions d’Etat, des jurys, des meilleures places dans le commerce et l’industrie : no papist need apply, le mot n’est encore que trop souvent vrai en Irlande. — Les papistes, à vrai dire, commencent à regimber sous l’éperon, à revendiquer leur place au soleil, et, récemment, une loi sur le gouvernement local a fait tomber dans leurs mains, par le jeu de l’élection populaire, tous les emplois locaux que monopolisaient autrefois les protestans : de là, par un contre-coup naturel, cette recrudescence de l’anticatholicisme protestant dont on relève actuellement mille signes en Irlande, ces diatribes contre Rome prononcées par des évêques anglicans, ces protestations indignées contre l’établissement d’une université catholique, ces hauts cris jetés lorsque de plus tolérans proposèrent, à la mort de la reine Victoria, de supprimer dans la formule du serment royal la fameuse déclaration contre l’ « idolâtrie » catholique, bref toutes les plaintes d’une oligarchie qui se sent atteinte dans ses privilèges et sa dignité par le relèvement des « idolâtres, » et se désespère de l’échec final des efforts qu’elle a faits, trois siècles durant, pour prendre à l’Irlande sa religion, pour « décatholiciser » Erin.

Ce n’est pas que l’Angleterre et ses représentans en Irlande n’aient tout fait depuis la Réforme pour protestantiser l’ « Ile-Sœur. » On sait de quel magnifique épanouissement religieux,