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de quelle floraison artistique et intellectuelle avait été suivie cette christianisation irlandaise dont la légende, sinon l’histoire, attribue le succès aux prédications de saint Patrick, et comment, du Ve au VIIIe siècle, l’Ile des Saints et des Docteurs, gardienne de la civilisation, illustrée par sainte Brigitte, par saint Columban, envoyait ses missionnaires par toute l’Europe, et attirait de toutes parts les étudians à ses écoles d’Armagh, de Lismore, de Clonmacnoise. Restaurée par saint Malachie après les invasions danoises, l’Eglise celtique d’Irlande voyait, au XIIe siècle, lors de l’invasion anglo-normande, s’établir auprès d’elle, sur l’étroit domaine de la « colonie » du Pale, une Eglise conquérante, un clergé anglais. Au XVIe siècle, cette Eglise anglaise du Pale acceptait la Réforme : l’Eglise celtique d’Irlande, comme toute l’Irlande celtique, la rejeta, et dès lors, avec la « bonne reine Bess, » commencèrent les persécutions et les confiscations. Ne pouvant « réformer » le catholicisme irlandais, Elisabeth l’interdit ; ne pouvant gagner les Irlandais au protestantisme, elle « planta » en Irlande ses colonies de protestans anglais. Elle « établit » officiellement l’Eglise anglicane d’Irlande, lui livra les Eglises, les biens des monastères, des terres sans limite. Elle massacra, déporta, le peuple des papistes, faisant, dit éloquemment le cardinal Perraud, « peu d’apostats et beaucoup de martyrs. » Cromwell, après la rébellion de 1641, reprit l’œuvre et l’acheva. Hibernia pacata : l’Irlande alors est pacifiée, mais elle reste catholique.

Au XVIIIe siècle, de violente, la persécution se fait légale. Le traité de Limerick ayant en 1691 promis à l’Irlande la liberté religieuse, Guillaume III et la reine Anne lui donnent à la place le célèbre Code pénal, le code de l’oppression et de la corruption, qui, maintenu pendant près d’un siècle, a marqué sur l’âme du peuple asservi une si profonde et si durable empreinte. Les droits politiques, le droit d’enseigner, la plupart des droits civils sont retirés aux catholiques, des barrières légales mises de tous côtés à leur relèvement, tout un système d’appâts offerts aux apostats et aux délateurs. Le culte est toléré, mais à titre provisoire, et à l’exclusion de toute pratique extérieure : évêques, moines et jésuites sont bannis de par la loi ; on ne respecte les séculiers que s’ils se font enregistrer, en prêtant un serment que l’Eglise d’ailleurs déclare illégal. Les prêtres, très réduits en nombre, vivent sous de faux noms, dans des cabanes perdues, toujours à la