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doit-il être à jamais perdu pour nos gouvernemens jacobins ?

Notez que le prêtre irlandais n’a guère cessé depuis près de cent ans de jouer un rôle politique ; qu’il prend parti dans toutes les élections ; qu’il n’est guère de meeting nationaliste où l’on ne voie le curé de l’endroit sur l’estrade ; que, lors de la guerre du Transvaal, les évêques ont tous condamné les armes anglaises dans leurs lettres pastorales : l’autorité civile ne voit dans tout cela ni crime ni délit. Le clergé tout entier est nationaliste : n’est-ce pas après tout son droit ? — Il l’est devenu, on le sait, dès le commencement du XIXe siècle, alors que, passée l’ère des grandes persécutions, s’ouvrait celle des revendications. Son premier témoignage public fut de rejeter, malgré l’avis de Rome, le salaire officiel que l’Angleterre lui offrait, dans un projet de concordat, en échange d’un droit de veto sur les nominations épiscopales. Avec O’Connell, avec ces deux grands prélats qui s’appelèrent Mac Hale et Doyle, il prend officiellement la défense des catholiques contre l’intolérance protestante et celle des paysans contre l’oppression du landlord, il entre dans l’action politique. Grâce à lui, l’émancipation catholique est gagnée en 1829, les dîmes abolies en 1838. Il soutient la campagne du Repeal et étouffe dans l’œuf l’insurrection de 1848. Après les années de réaction où domine un prélat à tendances ultramontaines, le cardinal Cullen, il reprend sa place de bataille, à la voix du grand archevêque de Cashel, Mgr Croke, pendant la terrible crise qui convulsé l’Irlande de 1880 à 1890. — On sait enfin que les excès populaires du boycottage et du « plan de campagne, » qui provoquèrent, en 1888, l’intervention du Vatican et les paternelles admonestations de Léon XIII « à son peuple d’Hibernie, » contribuèrent pour beaucoup, avec l’échec final de la campagne entreprise par une grande partie du clergé, après la mort de Parnell, contre les fidèles du parnellisme, à provoquer la retraite politique du gros de l’armée ecclésiastique. Son abstention relative est aujourd’hui déplorée par tous les partisans d’un mouvement fort en Irlande, sa prudence même lui est imputée à faiblesse et indifférence : mais qui sait s’il retrouvera jamais, du moins au même degré, son pouvoir politique d’antan ?