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Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 34.djvu/912

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III

A vrai dire, ce pouvoir politique n’est qu’une des formes, et non pas même la principale, de l’action prépondérante, de l’espèce de « suprématie » qu’exerce à bien des égards le clergé catholique en Irlande. Cette suprématie n’a sans doute rien d’absolu, j’entends en matière temporelle. Il faut se défier ici des exagérations intéressées qui voudraient nous faire voir dans l’Irlande actuelle a priest-ridden country, un pays esclave du prêtre. Hors du domaine spirituel, en politique surtout, ce sont ses qualités personnelles qui font au prêtre son influence : le paysan d’Irlande a de la pénétration, il juge l’homme sous le prêtre, et selon ce jugement il suit ou non son conseiller ; qu’une fois ce conseiller se trompe, et voilà la confiance disparue ! Ne croyons pas non plus que l’Irlande, victime de l’ultramontanisme, soit en danger de « romanisation, » et qu’à force de méprendre les intérêts de « Rome » pour les siens, elle tende à n’être qu’» une province romaine, » avec un souverain qui ne serait plus le roi d’Angleterre, mais « l’évêque de Rome : » les catholiques anglais se chargent de répondre à cette absurdité lorsqu’ils nous disent que ce qu’ils reprochent le plus à l’Irlande, c’est justement de ne point obéir à Rome ! La vérité, c’est que si la religion se mêle étroitement en Irlande à la vie nationale, emplissant l’atmosphère publique, intervenant dans toutes les affaires politiques ou sociales, sans que personne songe à s’en étonner, — c’est le résultat de trois siècles de persécution à la fois religieuse et nationale, de trois siècles de lutte pour la patrie et la foi irlandaise, — l’Irlande a toujours su distinguer entre sa politique et sa religion. « Nous demandons notre religion à Rome, » disait O’Connell, « mais nous irions plutôt chercher notre politique à Constantinople ! » O’Connell en ce mot était « peuple, » il reflétait exactement le sentiment du peuple, et le peuple a si peu changé de sentiment qu’il lui a repris son mot pour en faire aujourd’hui une maxime courante : our religion from Rome, our politics from home.

Il n’en est pas moins vrai qu’en nul pays l’ascendant moral du clergé n’est plus puissant. En religion, en morale, son autorité est indiscutable et indiscutée. Il a l’instruction presque tout