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Si, moralement, le clergé irlandais a, en somme, admirablement réussi à garder son peuple vertueux et pieux, il n’a pas eu autant de succès dans cette tâche autrement difficile de régénération intellectuelle et sociale, à laquelle pourtant il n’a pas manqué de prêtres qui aient travaillé et réussi, dans leur sphère locale, tels ce Father Davis, de Baltimore, et tant d’autres dont un ministre anglais disait un jour en plein Parlement qu’ils furent « des héros en même temps que des saints. » Lorsqu’en 1749, un observateur protestant, l’évêque philosophe Berkeley, écrivait dans ce curieux opuscule, A word to the wise, qu’il ne connaissait « pas sur terre de classe d’hommes ayant pouvoir de faire plus de bien que le clergé catholique d’Irlande, de le faire plus aisément et avec plus de profit pour autrui, » il en jugeait à son aise, il ne se demandait pas si les lois pénales, alors florissantes, n’allaient pas prolonger bien avant dans le siècle suivant des effets que le pire des régimes agraires et civils devait aggraver encore, de manière à paralyser d’avance tout progrès en Irlande et pour combien de temps ?... Il faut sentir le poids de ces causes qui s’opposaient naguère encore au développement social de l’Irlande, il faut voir aussi celles qui ont fait le clergé irlandais ce qu’il est.

Il est du peuple. Les lois pénales ont imprimé sur lui leur marque comme sur le peuple, et si ces lois ont passé, leur œuvre faite, l’Angleterre est restée, qui se dresse devant l’Irlande comme un mur de prison, l’isole du monde et l’enferme dans le cercle étroit de son horizon factice : le prêtre irlandais n’est pas sorti de ce milieu léthargique dont il subit l’influence déprimante, ses regards n’ont pas franchi le cercle magique. Ajoutez que le peuple a la fierté de faire son clergé, sinon riche, du moins aisé ; ajoutez que ce clergé ne sent pas l’aiguillon d’une opinion indépendante et éclairée, qu’il ne sent plus l’aiguillon de la persécution violente. La conséquence, c’est que, comme le peuple, il s’est laissé attarder aux revendications politiques, absorber par la lutte contre l’oppression, lent à suivre son siècle dans la voie du progrès social. Voyez dans le roman de M. l’abbé Sheehan cette jolie figure de Father Dan, si caractéristique de toute une génération de prêtres irlandais, génération finissante aujourd’hui. Father Dan est de caractère aisé et tranquille, respectueux du passé, défiant du nouveau ; il a essayé de faire quelque chose pour son peuple, il a échoué, et a fini par « accepter l’inévitable, »