Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 34.djvu/925

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Autre chose : le clergé s’est repris, sous la pression des idées nouvelles, à lutter avec ardeur contre ces deux fléaux nationaux de l’Irlande, l’émigration et l’alcoolisme. Contre l’émigration, qui tient à des causes économiques et sociales trop profondes, tout ce qu’il peut faire est peu de chose : il peut combattre une partie du mal, l’émigration volontaire, provoquée moins par la misère que par l’esprit d’imitation, le désir du nouveau, la tristesse de la vie rurale, et il le fait en prêchant sur les risques matériels et moraux de l’émigrant, mais surtout en rattachant le paysan au pays par l’organisation de cercles ruraux, de lectures, de bibliothèques. Plus active, et relativement plus aisée, est la lutte contre l’alcoolisme, où l’on sait qu’il y a une soixantaine d’années un fameux capucin, le Père Matthew, avait obtenu le succès le plus merveilleux par le moyen le plus radical, l’enrôlement en masse sous le drapeau de l’« abstinence totale. » Brochures, discours, congrès anti-alcooliques, le clergé irlandais méprise ces moyens : il n’en a qu’un, mais qui réussit, c’est le pledge, l’engagement solennel d’ « abstinence » ou de « tempérance » pris collectivement et périodiquement par tous les hommes enrôlés dans une « ligue. » Il y a aujourd’hui de ces « ligues » un peu partout : l’abstinence totale est pour l’élite, la tempérance pour la masse. Et comme les mœurs, surtout quand elles sont vicieuses, se ressemblent fort souvent de pays à pays, on ne s’étonnera pas de savoir que celle qui réussit le mieux, c’est l’antitreating league, la ligue contre les « tournées » au cabaret, chaque membre s’engageant à n’accepter ni ne payer de tournée : ne serait-ce pas à imiter en maint endroit de France ? Souhaitons à toute cette campagne un succès pareil à celui de Father Matthew, mais plus durable : elle a ce que n’avait pas l’autre, l’organisation, à quoi rien ne supplée, pas même l’enthousiasme !


VI

De ces premiers pas faits dans la bonne voie on est sans doute en droit de bien augurer de l’avenir. Les temps, à vrai dire, sont pressans, l’heure est critique : l’Irlande est au point tournant de son histoire, et selon la direction prise, selon l’effort accompli, elle va dès maintenant vers la décadence finale ou la