Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 34.djvu/929

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
REVUE LITTÉRAIRE

LE RETOUR A LA POÉSIE INTIME ET FAMILIÈRE

L’année a été bonne pour les poètes : on s’est beaucoup occupé d’eux ; on les a comblés d’éloges, on leur a tressé des couronnes, on leur a décerné des prix, et non seulement les prix déjà connus, mais d’autres encore, inédits et qu’on a fondés exprès pour eux. Car depuis qu’on a découvert qu’il est immoral de distribuer les prix aux enfans, nous les prodiguons à l’âge viril. Jamais on n’avait institué tant de prix, si divers, si considérables par leur importance et par celle des lauréats qui en bénéficient. Que n’a-t-on pas dit, depuis toujours, à la honte du prix de Rome, et n’était-il pas le vrai coupable, si nos peintres se montraient parfois dépourvus d’originalité ? Voici que, depuis cette année, les poètes aussi ont leur « prix de Rome. » Loin de nous l’idée de critiquer cette inoffensive ou charmante nouveauté ! Si le prix de Rome ne crée par les génies poétiques, il ne les empêchera pas de naître. Le titulaire de ce prix ne se croira pas un émule de Lamartine ou de Hugo ; ou plutôt, il songera qu’il débute comme ces grands ancêtres, qui travaillèrent d’abord pour mériter les suffrages de l’Académie de Mâcon ou des Jeux floraux de Toulouse : il aura conscience d’être un bon élève, le meilleur élève en poésie parmi les jeunes hommes de son âge, le plus fort de sa classe en vers français.

Au surplus les poètes ne sauraient être trop encouragés. Leur œuvre arrive difficilement au public, même à ce public restreint, à cette élite de lettrés qu’ils souhaitent d’atteindre. Et pourtant elle est utile, alors même qu’elle n’ajoute pas au patrimoine de notre littérature quelques-unes de ces « sublimes beautés » dont, aussi bien, la rencontre