Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 34.djvu/950

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cette soif généreuse lui aient procuré le moindre plaisir : pour s’être attiré lui-même les coups qu’il a reçus, il paraît bien, d’ordinaire, avoir fait triste mine en les recevant ; et il n’y a pas jusqu’à sa manière de provoquer les ennemis de sa foi qui n’ait en quelque chose de passif et de résigné, comme s’il obéissait à une fatalité de sa nature plus qu’à un élan spontané de son cœur. Sans compter que, au martyre près, ce prince infortuné n’avait rien d’un saint : c’était simplement un brave homme, très loyal et très sûr dans ses affections, scrupuleusement soucieux de sa dignité, toujours prompt à se fâcher comme à pardonner, et n’aimant, en vérité, ni le vin ni le jeu, mais ayant beaucoup aimé les femmes, depuis sa jeunesse, et ne s’étant repenti de les avoir trop aimées qu’à un âge où ce repentir n’avait plus guère rien qui pût nous édifier[1].

Sa femme, Marie de Modène, a certainement souffert autant et plus que lui, et avec cette aggravation qu’elle a eu, presque toujours, à souffrir par lui, par ses infidélités des premières années de leur mariage, ou par l’effet d’actes politiques inopportuns et dangereux qu’il s’est mis en tête de commettre, et dont elle a vainement essayé de le détourner. Depuis les larmes que nous lui avons vu verser au lendemain de son arrivée en Angleterre, combien de larmes ont dû couler de ces beaux grands yeux noirs, qui illuminent tous les portraits que nous avons d’elle ! La perte de sa couronne et le dur exil, la mort successive de tous ses enfans, à l’exception du malheureux Jacques III, l’odieuse trahison de ses deux belles-filles, l’abandon de ses amis et de ses parens même, l’échec de toutes les entreprises de son mari, de toutes celles de son fils, la proscription de celui-ci, chassé tour à tour de France, de Lorraine, d’Avignon, et les maladies, et la misère, — l’engagement ou la vente de ses derniers bijoux, l’obligation, parfois, de ne se nourrir que de légumes pendant des semaines, l’impossibilité de fournir du pain à la colonie pitoyable des émigrés irlandais : ce n’est là qu’une partie des épreuves qu’elle a eu à subir. Et pourtant ses yeux noirs nous sourient, dans tous ses portraits ; et peut-être leur sourire nous apparaît-il encore plus franc, plus tranquille, dans les portraits qui datent de ses dernières années, lorsque déjà tout le poids de ces terribles épreuves s’est abattu sur elle. Rien

  1. Un écrivain anglais anonyme a publié récemment à Londres, sous le titre de The Adventures of King James II (librairie Longmans), une excellente biographie anecdotique de Jacques II, et dont les conclusions, touchant les caractères du Roi et de la Reine, sont entièrement confirmées par les pièces que vient de recueillir M. Martin Halle.