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populations des villes peu importantes et celles des districts éloignés de la côte, parce qu’on ne s’attend pas à y rencontrer une curiosité intelligente, et déjà avertie, des choses qui paraissent en dehors des préoccupations des gens du peuple. Il n’est pas douteux que les sacrifices faits depuis une quarantaine d’années par les gouvernemens des colonies australiennes (aujourd’hui Etats) pour répandre l’enseignement ont porté leurs fruits. Non seulement la nation est plus instruite, mais le désir de l’instruction s’est propagé. Le goût de la lecture est général, même celui des lectures sérieuses. Si la culture des classes supérieures n’est pas tout à fait à la hauteur qu’elle a atteinte en Europe, celle des classes modestes et surtout des classes dites laborieuses y atteint un niveau qui m’a paru plus élevé. Quant à la moralité générale (dont on ne peut juger qu’après un assez long séjour), elle est sensiblement supérieure, dans l’ensemble de la population, à celle des peuples occidentaux. On est donc surpris de voir la majorité de la nation employée, faute des auxiliaires qu’elle repousse obstinément, à des travaux de force ou de patience, mécaniques, parfois répugnans, mais nécessaires, qui ne réclament ni intelligence ni technique de métier, et font de l’homme, pendant huit heures chaque jour et cinq jours par semaine, une machine de production médiocre, fragile, peu régulière, et pourtant coûteuse.

Depuis que la réglementation du travail, instituée sous la pression des ouvriers, s’est développée en Australie, l’initiative personnelle du travailleur a été réduite de plus en plus, jusqu’à disparaître. Le contraste s’est accentué. On comprend, dès lors, ce qu’il y a de justifié dans les prétentions du salarié. Un gâcheur de plâtre australien dira : « Ma journée vaut bien huit shillings, » et il aura presque raison. Sa journée pourrait valoir huit shillings, s’il y employait ses aptitudes et son intelligence ; mais comme il l’occupe à gâcher du plâtre, son travail ne vaut pas huit shillings ; et ce n’est que son travail qu’on achète.

Les Australiens furent donc et sont encore en présence d’un problème dont les données principales et constantes (la grandeur du territoire, la situation géographique et la nature du climat) ont été par eux négligées. Ne sachant ce qu’il fallait faire, ils ont fait ce qu’ils savaient. En quoi, il y a apparence qu’ils se sont trompés, parce que, pour produire quoi que ce soit, il ne suffit pas de faire un effort, il faut le faire dans le sens de la production.