Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 35.djvu/148

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’il a recouvré, mais de ne pas se taire en présence d’une telle impiété, si l’on ne la répare vite[1]. » Et un autre jour, parlant du comte de Nesselrode, Pacca déclarait au même Consalvi : « Le comte manque d’équité, ou bien connaît peu nos principes, lorsqu’il a cru que le Pape est capable d’acheter des succès temporels par des concessions dans les choses de conscience et de religion. Plût à Dieu qu’on pût adhérer sans scrupule et sans remords à tout ce que souhaite la Russie, mais presque toutes les demandes sont inadmissibles[2]. » Ces phrases fermes et tranquilles, qu’aucun geste ne souligne, n’étaient point destinées à donner le change à l’opinion du monde et à la convaincre que le Pape mettait au-dessus des ambitions terrestres la dignité de son Église. Elles sont extraites d’instructions secrètes et formelles, données par le Saint-Siège à sa diplomatie. En l’une des heures les plus tragiques qu’ait connues l’État pontifical, elles définissent l’esprit véritable et les vraies maximes du Saint-Siège, et font d’autant plus d’honneur au Pape qui les inspira qu’il ne songeait aucunement à s’en draper. Au moment d’entrer en tête à tête avec une Europe passablement vénale, qui allait, au Congrès de Vienne, ériger en règle quotidienne la maxime du Do ut des, le pape Pie VII, lui, consolé de l’épuisement de son trésor par l’intégrité de sa conscience, n’avait rien à donner. Mais confiant dans ce que ses souffrances lui avaient rapporté de gloire auprès des hommes et de mérites auprès de Dieu, il expédiait Hercule Consalvi, mains vides et tête haute, pour qu’il se mesurât, à Vienne, avec les roueries combinées de l’Europe de l’ancien régime et de l’Europe de la Révolution.


II

C’étaient bien en effet deux Europes qui allaient essayer, en se combinant, de refaire et de rasseoir « l’Europe, » et si le représentant du roi Louis XVIII eut, à certaines heures, l’inappréciable chance de pouvoir parler presque en vainqueur au nom d’une nation vaincue, c’est parce que Charles-Maurice de Talleyrand, créature du vieux monde par sa naissance et du monde nouveau par sa destinée, voisinait sans malaise avec les survivances de l’ancien régime, parmi lesquelles il défendait la légitimité

  1. Rinieri, V, p. 28.
  2. Ibid., V, p. 180.