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tout en incarnant la Révolution. Entre ces deux mondes qui se rendaient visite et dont la visite risquait de dégénérer en collision, il importait de régler, sans retard, ces futiles questions de préséance auxquelles l’expérience des diplomates donnait une importance quasi symbolique, et de codifier à l’usage de tous les membres du corps européen des lois nouvelles de civilité.

C’est au comte de la Tour du Pin, l’un des quatre commissaires français au Congrès, que fut confiée la rédaction d’un projet susceptible de flatter ou d’assoupir toutes les vanités européennes. Il adopta ce principe, de ne point tenir compte des préséances séculaires. Même en matière de politesse internationale, la Révolution était un fait acquis, et les grandes puissances, spontanément, sacrifiaient leurs prérogatives traditionnelles. Entre les souverains quels qu’ils fussent, empereurs, rois et roitelets, l’égalité devait désormais régner : la préséance entre leurs représentans serait déterminée, désormais, par l’ancienneté des lettres de créance. La Tour du Pin prévint Consalvi que le Pape serait classé parmi ces souverains, et que les nonces auraient à l’avenir, dans le corps diplomatique, le rang auquel leur donnerait droit la date de leur nomination à leur poste. Cette communication, que dictait une courtoise déférence, mit Consalvi dans un grand embarras. Le Pape devait-il se montrer plus susceptible que l’empereur d’Autriche et que le tsar, que le roi de France et que le roi d’Espagne, qui acceptaient qu’à l’avenir leurs diplomates pussent fermer les cortèges et occuper le bout de la table lorsqu’ils seraient, dans un poste, les plus récemment accrédités ? Consalvi redoutait qu’ « avec l’esprit du temps, on ne vît avec quelque défaveur qu’un prêtre voulût primer lorsque les empereurs eux-mêmes y renonçaient. » Alléguer la tradition, il n’y pouvait songer, puisque les autres souverains avaient cessé d’en invoquer le bénéfice ; et lorsqu’il mit en avant la dignité religieuse du Pape, La Tour du Pin lui fit observer que, sur les huit puissances qui avaient à cet égard voix délibérative, quatre étaient protestantes ou schismatiques. Raison de plus pour elles, riposta Consalvi, d’user de délicatesse à l’endroit du Pape, et de se rendre agréables, du même coup, à leurs sujets catholiques et aux États catholiques. Consalvi d’ailleurs se souvint à propos que la Russie donnait aux nonces la préséance ; il se montra si renseigné, si pressant, si incisif, que La Tour du Pin promit d’en référer à Talleyrand. Vingt-quatre heures après, Talleyrand