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Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 35.djvu/155

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M. de Talleyrand, qui avait, ou peu s’en fallait, l’importance d’un souverain.

On avait décidé, entre diplomates, que, pour l’attribution des territoires, on distinguerait entre ceux qui avaient été dûment conquis par Napoléon et ceux qui avaient été incorporés via facti : les premiers seraient à la libre disposition de la diplomatie, qui les attribuerait au mieux des intérêts de l’Europe ; les seconds devaient retourner, de droit, à leurs anciens possesseurs[1]. Ce dernier cas était celui des Marches ; des troupes étrangères les occupaient, mais le Pape n’en avait fait abandon par aucun traité. Le principe même qui servait d’assise aux délibérations de Vienne exigeait, sans plus longs débats, que Pie VII les recouvrât sur l’heure. Mais le roi Murat les détenait ; le droit du Pape, reconnu par Metternich et ses collègues, se heurtait à ce fait ; et la discussion qui s’engageait entre eux et Consalvi portait, en définitive, sur le moyen le plus sûr et le plus prompt d’en finir, dans les Marches, avec un fait contraire au droit. L’Europe entière était lasse de Murat ; Metternich tout le premier, malgré le traité qui liait l’Autriche à Murat, ou plutôt, peut-être, à cause de ce traité, inclinait à trouver qu’en Europe il n’y avait plus de place pour cette créature de Napoléon. Mais toucher à Murat, personne ne l’osait ; c’est pourquoi Consalvi, dès le début du Congrès, croyait devoir conseiller au Saint-Siège de négocier spontanément avec ce prince l’évacuation des Marches. La négociation marcha très mal : Murat voulait que le Saint-Siège le reconnût, et le Saint-Siège, estimant que c’était déjà très beau de consentir à le connaître, finit au contraire par accroître ses exigences et par lui redemander Bénévent en même temps que les Marches ; sur ce, tous pourparlers furent rompus.

Rome ne comptait plus que sur l’Europe pour obtenir justice dans les Marches, et l’Europe, qui reprochait surtout à Murat la peur qu’elle avait de lui, était à son endroit de plus en plus haineuse, mais tout ensemble de plus en plus inactive. Un jour vint, même, où cette craintive Europe fit mine de se fâcher parce que le Pape ne la débarrassait pas de Murat. Pie VII n’avait pas d’armée, c’est vrai, ni de canons, ni de trésor de guerre, mais il avait des anathèmes... Et l’on vit, en février 1815,

  1. Rinieri. IV, p. 38-39.