Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 35.djvu/189

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

citer. Il la pratique lui-même depuis plus des vingt ans et son œuvre est le plus important magasin de documens pathologiques que nous ayons aujourd’hui. Il est pourtant assez aisé de s’y reconnaître, parmi de si gros volumes, car ce neurologiste est un philosophe. Il a eu de bonne heure une idée directrice, qui ressemble maintenant à une théorie.

Il y est arrivé par une série d’étapes dont les plus importantes furent l’étude du somnambulisme naturel ou provoqué, celle de l’hystérie, et enfin celle d’une maladie psychologique dont il a tracé le premier le tableau, la psychasthénie, avec toutes ses obsessions.

Par le somnambulisme, Pierre Janet avait été conduit d’abord à faire une distinction entre deux formes de l’activité psychologique, l’activité créatrice, l’activité reproductrice. Dans la vie, nous sommes sans cesse obligés de nous « adapter. » Cette adaptation se compose d’actes nouveaux qu’il nous faut improviser. Ce sont des « synthèses, » car ces actes sont surtout des combinaisons originales de mouvemens anciens : c’est ainsi que la danse est une nouvelle organisation de la marche. D’autre part, les opérations anciennes se reproduisent d’elles-mêmes, par habitude. Elles deviennent automatiques : c’est ainsi que nous écrivons sans effort après avoir tant peiné pour apprendre. Dans l’état normal, l’activité synthétique et l’activité automatique s’harmonisent, l’une soutenant l’autre, l’une limitant l’autre et la disciplinant : ainsi nous écrivons automatiquement ce que nous voulons. Mais, dans l’état pathologique, tout change. L’activité créatrice est plus difficile que l’autre. La maladie la supprime, et c’est l’autre qui prend le dessus, devient indépendante, travaille pour son propre compte et sans contrôle : ainsi, dans l’écriture automatique des hystériques, la main écrit indépendamment et à l’insu de la malade. Il y a comme un dédoublement de la personnalité. « La plupart de ces faits se développent par un mécanisme analogue à celui de la suggestion. Ce sont des phénomènes psychologiques qui se développent complètement et isolément en dehors de la volonté et souvent de la conscience personnelle du malade. L’idée suggérée peut se développer de cette manière parce qu’elle ne rencontre pas dans l’esprit ces idées antagonistes qui d’ordinaire restreignent les pensées, parce qu’elle demeure isolée dans l’esprit comme un tableau qui n’a pas de cadre. »